La recontruction de Royan : la renaissance d'une ville face à l'océan

Rue du Marché Royan Charente-Maritime

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Le 5 janvier 1945, Royan est réduite à l’état de ruines par les bombes alliées. Vingt ans plus tard, elle devient l’une des vitrines de l’architecture moderne française. À travers la reconstruction, c’est une ville nouvelle qui naît, radicalement différente, tournée vers la mer, le béton, la lumière et l’avenir.

 


L'HISTOIRE EN BREF

Une ville détruite pour mieux renaître

 Vue sur la ville de Royan bombardée en 1945 

Quand les bombes tombent sur Royan dans la nuit du 4 au 5 janvier 1945, la ville est encore occupée par les troupes allemandes, retranchées dans ce que l’on appelle alors la « poche de Royan ». L’objectif des forces alliées est d’abréger les combats, mais la population civile paie un prix effroyable : plus de 500 morts, un millier de blessés, et une ville dévastée à 85 %. Le centre est anéanti ; seuls les quartiers périphériques du Parc et de Pontaillac subsistent. Le coup de grâce survient le 14 avril, avec une pluie de bombes au napalm larguées par les Américains.

 Portrait de Claude Ferret par Pierre-Albert Bégaud en 1951 

Fallait-il reconstruire Royan à l’identique, ou oser repartir de zéro ? En juillet 1945, l’État nomme Claude Ferret, architecte bordelais et enseignant, à la tête du projet de reconstruction. Ferret impose très vite une vision globale : Royan ne sera pas restaurée comme Saint-Malo ou Gien, mais réinventée. Le traumatisme de la guerre devient alors l’occasion d’un geste radical, qui ambitionne de créer une station balnéaire moderne, fonctionnelle, tournée vers l’avenir. Dès 1945, Ferret dessine une ville géométrique et lumineuse, organisée selon deux axes majeurs : le boulevard Aristide-Briand, perpendiculaire à la mer, et un front de mer incurvé, suivant la conche naturelle. Ce plan reprend certaines idées du mouvement moderne, tout en restant d’abord prudent. Les premières esquisses restent attachées à un style régionaliste « saintongeais », fait de lignes sobres, de pierre calcaire et de tuiles canal.

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Mais tout bascule en 1947. Cette année-là, le numéro de la revue L’Architecture d’Aujourd’hui consacre un dossier entier à l’architecture brésilienne, et notamment à Oscar Niemeyer. Le choc est immédiat. Pour Ferret et son équipe, cette découverte agit comme un déclic. Dans ce modernisme tropical, sensuel et libre, ils trouvent une manière de rompre avec les carcans d’avant-guerre sans trahir l’esprit balnéaire.

« La ville détruite, tout le centre de Royan n'existait plus, dira plus tard Ferret. C'était l'occasion ou jamais de faire une ville un peu plus contemporaine. »

C’est donc moins une restauration qu’une réinvention qui s’amorce à Royan — une prise de distance volontaire avec le passé, un choix assumé d’inventer une ville nouvelle.

Une utopie balnéaire en béton

À partir de 1949, les premiers bâtiments s’élèvent. La ville renaît, mais sous une forme inédite. Royan devient un laboratoire vivant de l’architecture moderne. Ici, tout est pensé pour la clarté, la fluidité, le confort. Les immeubles s’organisent autour de cours intérieures, les rues s’élargissent pour accueillir l’automobile, et les façades s’ouvrent à la lumière.

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Le marché central en 1959.

Le marché central, inauguré en 1956, incarne cette modernité. Il prend la forme d’un immense parapluie de béton, sans pilier central, tout en voiles tendus. À l’intérieur, la lumière naturelle afflue depuis la coupole, diffusée par des ouvertures savamment disposées. Ce chef-d’œuvre technique signé Louis Simon et André Morisseau impressionne par sa légèreté apparente et sa robustesse.

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Le Front de mer en 1959

Sur le front de mer, les immeubles s’étirent en arc de cercle, en suivant la plage. Ils reposent souvent sur des arcades, et laissent passer la lumière sous les bâtiments. Chaque façade joue avec les ombres : persiennes coulissantes, claustras en béton, brise-soleil ajourés. Le blanc domine, rehaussé parfois de bleu ou de jaune. Le béton n’est plus austère : il devient expressif, décoratif, presque plastique. Royan devient, selon Jacques Lucan, « la ville la plus fifties de France ».

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 Église Notre Dame, à Royan en Charente Maritime.

Au cœur de cette composition, l’église Notre-Dame surgit comme un manifeste spirituel et architectural. Conçue par Guillaume Gillet entre 1954 et 1958, elle s’élève en proue de béton, tournée vers l’océan. Sa nef élancée, ses voûtes en V, son clocher haut de 60 mètres lui donnent une présence unique. À l’époque, certains la surnomment « la cathédrale de béton ». D’autres, plus moqueurs, y voient « une centrale électrique ». Un habitant dira plus tard : « Elle était si étrange qu’on n’osait pas y entrer… Mais on la regardait comme un phare. »


La villa "Ombre Blanche"

Les villas modernistes fleurissent aussi dans les quartiers neufs : toits-terrasses, escaliers suspendus, tons pastel, mobilier intégré. Parmi elles, la villa Ombre Blanche, la villa Grille-pain ou encore la villa Hélianthe deviennent des icônes de cette architecture balnéaire joyeuse et graphique.

Une reconnaissance tardive

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Vue de Royan et du casino en 1902. 

Ce pari moderniste, pourtant, ne fait pas l’unanimitié. Dans les années 1970 et 80, Royan commence à douter de son identité. Certains habitants, nostalgiques du Royan d’avant-guerre, ne reconnaissent plus leur ville. Le style des années 50 est jugé froid, trop brutal, trop bétonné. La poste est remaniée sans ménagement, le portique du front de mer est démoli en 1985, et le casinochef-d’œuvre de Ferret —, victime d’années de délaissement, jugé irrécupérable, est rasé sans réelle mobilisation.

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Il faut attendre la fin du siècle pour qu’un regard neuf s’impose. En 1988, l’église Notre-Dame est enfin classée monument historique. D’autres reconnaissances suivent : le marché central, le temple protestant, les villas du centre, le palais des congrès. En 2011, Royan reçoit le label Ville d’art et d’histoire. La ville assume enfin ce qu’elle est devenue : un témoignage rare, cohérent et vibrant de l’architecture des Trente Glorieuses.

Aujourd’hui, les visiteurs redécouvrent Royan avec d’autres yeux. Ils ne viennent plus seulement pour la plage ou le soleil, mais aussi pour cette atmosphère unique — ces façades blanches qui captent la lumière, ces courbes de béton qui épousent l’horizon, cette radicalité tranquille qui irrigue la ville. Et si Royan annonçait ce que pourrait être la station balnéaire du futur ? Une ville capable de renaître, de se réinventer, de regarder vers la mer en assumant ses lignes les plus modernes. Un laboratoire vivant — toujours en bord de mer, toujours en avance sur son temps.


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GLOSSAIRE

  • Poche de Royan : nom donné à la zone encore occupée par les troupes allemandes en 1945, fortifiée et encerclée, libérée après deux bombardements alliés dévastateurs.

  • Claude Ferret : architecte urbaniste nommé en 1945 à la tête du projet de reconstruction de Royan. Il en est l’architecte en chef et principal concepteur du plan moderniste de la ville.

  • Boulevard Aristide-Briand : axe structurant majeur de la ville nouvelle, perpendiculaire à la mer, conçu comme la colonne vertébrale du centre reconstruit.

  • Front de mer : ensemble architectural emblématique de la reconstruction, conçu en arc suivant la plage. Il incarne la modernité balnéaire par ses lignes courbes et son jeu de lumière.

  • Architecture saintongeaise : style régional traditionnel évoqué dans les premières esquisses de la reconstruction, fait de sobriété, de pierre calcaire et de tuiles canal.

  • Oscar Niemeyer : architecte brésilien dont les œuvres modernistes et tropicales ont profondément influencé les architectes de Royan dès 1947.

  • Modernisme tropical : courant architectural inspiré du Brésil, mêlant béton sculptural, formes courbes, brise-soleil et intégration à l’environnement lumineux.

  • Brise-soleil : structure en béton ou métal permettant de filtrer la lumière du soleil. Caractéristique des façades royannaises, souvent décorative et fonctionnelle.

  • Claustra : panneau ajouré servant de filtre visuel et lumineux. Élément typique des façades royannaises dans les années 50.

  • Marché central de Royan : bâtiment phare de la reconstruction, inauguré en 1956, en forme de voûte en voile mince de béton. C’est une prouesse technique et un symbole du renouveau.

  • Église Notre-Dame de Royan : monument emblématique, construit entre 1954 et 1958. Proue de béton tournée vers la mer, elle est un manifeste spirituel et architectural du renouveau.

  • Villa Ombre Blanche / Grille-pain / Hélianthe : villas représentatives du style balnéaire moderniste, construites dans les années 50 à Royan, aux formes audacieuses et aux couleurs claires.

  • Ville d’art et d’histoire : label décerné en 2011 à Royan, reconnaissant son patrimoine architectural exceptionnel, notamment celui de la reconstruction.

  • Trente Glorieuses : période de forte croissance économique et de modernisation de la France entre 1945 et 1975. Royan est l’une des rares villes à incarner cette époque dans son urbanisme même.


POUR SE REPÉRER

 


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