Molsheim, berceau des Bugatti : naissance d'une voiture de légende
1 Rue Saint-Jean Dorlisheim
À Molsheim, dans le silence studieux des ateliers, Ettore Bugatti a sculpté l’une des plus grandes légendes de l’automobile. De la précision mécanique au luxe absolu, chaque modèle porte la marque d’un génie visionnaire et de son fils, Jean, héritier inspiré.
L'HISTOIRE EN BREF
Ettore Bugatti, un visionnaire à la conquête du monde
Ettore Bugatti pris en photo pendant les essais de son prototype n°10 en Italie en 1909.
Lorsque Ettore Bugatti arrive à Molsheim en 1909, c’est un jeune homme déjà aguerri par des années passées dans les ateliers de De Dietrich, Mathis et Deutz. Fils du célèbre ébéniste et artiste milanais Carlo Bugatti, et frère du sculpteur animalier Rembrandt Bugatti, Ettore a grandi dans un monde où la beauté formelle prime autant que la rigueur du geste. Il décide de poser ses valises dans cette petite ville d’Alsace, alors annexée par l’Empire allemand, pour y fonder sa propre marque. Il y met au point son premier prototype, la Type 10, esquisse fondatrice de la saga Bugatti, dans le sous-sol de sa villa.
Esquisse du fer à cheval de Bugatti
La première usine, installée à Molsheim, est modeste, mais Ettore a une vision : celle d'une automobile qui ne se contente pas d'être rapide, mais qui soit aussi une œuvre d'art. La calandre en fer à cheval, inspirée de sa passion pour les chevaux, deviendra la signature de la marque. En 1910, la Type 13 fait sensation : voiture ultralégère, nerveuse, au dessin audacieux pour l’époque. Considérée comme la première Bugatti de série et de course, elle connaît ses premiers succès en 1911. Rapidement, les premières victoires en compétition viennent couronner le travail d’un homme dont la devise est sans appel : « Rien n’est trop beau, rien n’est trop cher ».
Ernest Friderich vainqueur de la Coupe des Voiturettes du Mans sur une Bugatti type 13 en 1920
Ettore, perfectionniste absolu, parcourt chaque matin l’usine à cheval, vêtu de gants blancs et coiffé de son inséparable chapeau melon. Il inspecte les pièces une à une, traquant les moindres défauts. Son exigence est telle qu’il dessine lui-même certains outils de production. À Molsheim, une voiture Bugatti n’est pas simplement montée : elle est ciselée comme une œuvre d’art.
L’âge d’or des pur-sang Bugatti
Publicité pour Bugatti parue dans L'Illustration en 1923
Les années 1920 et 1930 sont celles de la gloire. En 1924, Ettore présente la Type 35 au Grand Prix de Lyon. Avec son moteur huit cylindres, son compresseur et son poids plume, la voiture rafle toutes les victoires : plus de 2 000 succès revendiqués à travers le monde toutes compétitions confondues. Elle devient l’une des voitures de course les plus victorieuses jamais produites. Bugatti s’impose sur les circuits du monde entier, de la Targa Florio aux 24 Heures du Mans.
Jean Bugatti et sa Bugatti Royale Type 41 Roadster Esders
C’est aussi l’époque où le luxe prend toute sa place. La Royale, ou Type 41, incarne cette ambition : un monstre de plus de cinq mètres, à moteur 12,7 litres. Destinée aux têtes couronnées, elle ne trouve pourtant pas preneur, pas même auprès des familles royales auxquelles elle était destinée. Ettore en garde plusieurs exemplaires à l’usine, dont le célèbre Coupé Napoléon. Loin d’être un échec pour l’image, la Royale devient un mythe, symbole du raffinement extrême.
Bugatti, père et fils
Jean Bugatti, ingénieur mécanique spécialiste de l'aéronautique, fils du célèbre constructeur automobile Ettore Bugatti
Au centre de cette épopée se tient Jean Bugatti, fils d’Ettore, né en 1909 l’année même de la fondation de l’usine. Dès son plus jeune âge, il dessine les carrosseries, affine les lignes, modernise les moteurs. Sous sa plume naissent les Type 57, dont la fameuse Atlantic, produite à seulement quatre exemplaires et considérée aujourd’hui comme l’une des voitures les plus précieuses au monde. Visionnaire, Jean s’impose à Molsheim comme l’héritier naturel, apportant au nom Bugatti une touche de jeunesse, de maîtrise et de séduction technique.
18 juin 1939, victoire de la Bugatti 57C aux 24 heures du Mans, et des pilotes Jean-Pierre Wimille et Pierre Veyron
En 1937, Bugatti remporte les 24 Heures du Mans grâce à Jean-Pierre Wimille et Robert Benoist. En 1939, la victoire se répète avec Wimille et Pierre Veyron. Cette même année, le drame frappe. Le 11 août, Jean se tue en voiture à Duppigheim, à dix kilomètres de l’usine, en voulant éviter un cycliste. Il a 30 ans. Molsheim perd plus qu’un directeur : elle perd un souffle créatif, une âme.
Crépuscule et renaissance d’une marque mythique
Atelier de l'usine Bugatti de Molsheim
La Seconde Guerre mondiale met fin à l’âge d’or. L’usine est réquisitionnée par les Allemands, puis saisie par l’administration française à la Libération. Ettore Bugatti, affaibli, tente de la récupérer et y parvient peu avant sa mort en 1947. Mais sans son fils, sans moyens financiers, sans marché porteur, la marque s’éteint doucement. Seuls quelques prototypes verront encore le jour, comme les Type 73.
Festival Bugatti à Molsheim, au château Saint-Jean, ancienne demeure d’Ettore Bugatti, le 9 septembre 1990.
Dans les décennies suivantes, Molsheim semble tourner la page. En 1963, la marque est vendue à Hispano-Suiza. Puis, en 1998, un autre tournant s’opère. Volkswagen rachète Bugatti et choisit de revenir à Molsheim, sur les terres du fondateur. Le château Saint-Jean, qui était le lieu de réception des clients dans les années 30, devient le siège de la renaissance et la vitrine de la marque.
La Bugatti Divo à sa sortie en 2018
Dès 2005, la Veyron repousse les limites techniques, atteignant plus de 400 km/h. Puis viennent la Chiron, la Divo, la Centodieci (2020) ou encore la Mistral (2022), toutes assemblées à la main dans « l’Atelier » de Molsheim. Chaque modèle nécessite près de 1 800 heures de travail. La marque Bugatti, désormais symbole absolu de luxe et de performance, renoue avec la devise du fondateur.
Ettore Bugatti en 1932
Aujourd’hui, la ville de Molsheim célèbre chaque année son héritage lors du festival Bugatti. Le musée, les archives, la stèle à Duppigheim et le château restauré font revivre l’esprit d’une maison où l’automobile était un art. En Alsace, au cœur de Molsheim, plus qu’une usine : une légende façonnée de métal et de rêve.
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GLOSSAIRE
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Type 10 : Premier prototype conçu par Ettore Bugatti en 1909, ancêtre direct des futurs modèles de la marque.
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Type 13 : Première Bugatti de série, légère et performante, victorieuse dès 1911 au Grand Prix de France.
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Type 35 : Voiture de course emblématique des années 1920, créditée de plus de 2 000 victoires toutes compétitions confondues.
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Type 41 Royale : Modèle de prestige aux dimensions hors normes (12,7 litres), conçu pour les têtes couronnées mais jamais vendu à aucune.
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Type 57 Atlantic : Chef-d’œuvre stylistique dessiné par Jean Bugatti, produit à quatre exemplaires, considéré comme l’une des plus belles automobiles de l’histoire.
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Château Saint-Jean : Demeure acquise en 1928 par Ettore Bugatti à Dorlisheim, aujourd’hui siège et vitrine de la marque.
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Jean Bugatti : Fils d’Ettore, ingénieur et designer surdoué, à l’origine de nombreux modèles iconiques. Mort tragiquement en 1939, à 30 ans.
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Veyron / Chiron / Divo : Supercars contemporaines développées sous l’ère Volkswagen, assemblées à la main à Molsheim, perpétuant l’excellence Bugatti.
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Molsheim : Ville alsacienne où Ettore Bugatti a fondé sa marque en 1909, toujours cœur historique de Bugatti Automobiles.
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Festival Bugatti : Manifestation annuelle célébrant l’héritage mécanique et artistique de la marque à Molsheim.
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Pur-sang mécanique : Expression désignant les Bugatti, alliant puissance, finesse technique et élégance racée.
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QUESTIONS FRÉQUENTES
Pourquoi Ettore Bugatti a-t-il choisi Molsheim pour fonder sa marque ?
Parce qu’il y trouvait un climat industriel favorable, une main-d’œuvre qualifiée et un soutien financier local. L’Alsace, alors allemande, offrait aussi un accès aux marchés européens.
Quelle est la voiture Bugatti la plus célèbre de l’entre-deux-guerres ?
La Type 35, qui cumule plus de 2 000 victoires en compétition, reste la plus iconique. Elle a dominé les circuits dans les années 1920.
Que reste-t-il aujourd’hui de la présence historique de Bugatti à Molsheim ?
Le château Saint-Jean, l’atelier de montage moderne, le musée Bugatti, les archives, et la tradition locale toujours vivace lors du festival Bugatti.
Qui était Jean Bugatti et pourquoi est-il si important ?
Fils d’Ettore, Jean était un designer et ingénieur de génie. Il est à l’origine de modèles mythiques comme la Type 57 Atlantic. Sa mort en 1939 fut un tournant tragique pour la marque.
Les voitures Bugatti sont-elles toujours fabriquées à Molsheim ?
Oui. Depuis 1998, sous l’égide de Volkswagen, les supercars modernes comme la Veyron, la Chiron ou la Divo y sont assemblées à la main.