Mont Granier, 1248 : la nuit où la montagne a englouti la vallée

Rte de Chapareillan Apremont Savoie

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Dans la nuit du 24 novembre 1248, le mont Granier s’effondre, engloutissant plusieurs villages et causant la mort de près de 2 000 personnes. Du chaos naissent une falaise vertigineuse, un culte marial et une légende qui marquent à jamais la mémoire des Alpes. Cette catastrophe naturelle, la plus meurtrière de l’histoire alpine, a façonné les paysages, les croyances et les récits.

 


L'HISTOIRE EN BREF

Une catastrophe sans précédent dans les Alpes

 

Au XIIIe siècle, au pied du mont Apremont – nom originel du mont Granier – la vie s'organise paisiblement dans les vallées de la Combe de Savoie et du Grésivaudan. De nombreuses paroisses prospèrent, dont la plus importante est Saint-André, siège du décanat de Savoie, avec une population estimée à 3 000 habitants. Les terres fertiles sont cultivées, les villages dynamiques. Ce nom changera après la catastrophe : le mont Apremont prendra le nom de l’un des villages ensevelis, Granier ; à l’inverse, le village d’Apremont, reconstruit sur les éboulis, héritera de l’ancien nom de la montagne. Mais à l'automne 1248, des pluies persistantes s’abattent sur la région. Elles s’infiltrent dans les failles karstiques du massif calcaire, gorgent les marnes valanginiennes jusqu’à saturation et fragilisent un terrain déjà instable.

 La falaise du Granier vue du sommet. 

Dans la nuit du 24 au 25 novembre, alors que les habitants dorment, un pan entier de la montagne s’effondre. Ce sont 500 millions de mètres cubes de roches, de boues et de débris qui se déversent sur une surface de 23 à 30 km², selon les estimations récentes, recouvrant tout sur leur passage. Les géologues estiment aujourd’hui que les roches de la corniche effondrée ne représentaient qu’environ 1 % de cette masse ; l’essentiel du volume provient du terrain emporté par le mouvement. Le fracas est tel qu'il aurait été entendu jusqu'à Chambéry. Des villages entiers – Saint-André, Vourey, Cognin, Granier et Saint-Pérange – disparaissent. Deux autres, Myans et Les Murs, sont partiellement touchés, sans être entièrement détruits. Les estimations modernes situent le nombre de morts entre 1 000 et 2 000. Ce cataclysme, sans précédent connu dans les Alpes, crée une gigantesque falaise de 900 mètres d’à-pic, la plus haute de France.

Granier 1248 : entre punition divine et miracle de Myans

 Vue un matin, depuis les vignobles, sur de la commune viticole de Myans et son sanctuaire, au pied du mont Granier. 

Rapidement, l’Europe chrétienne tente de comprendre cet événement. Faute d’explication scientifique, les chroniqueurs médiévaux, principalement religieux, parlent de punition divine. Le moine dominicain Étienne de Bourbon désigne un coupable : Jacques Bonivard, conseiller du comte de Savoie. Ce dernier aurait fait expulser les moines du prieuré de Saint-André pour s’emparer de leurs terres. Selon certains récits, Bonivard aurait obtenu l’expulsion des moines grâce au soutien du pape Innocent IV, dans un contexte de tensions entre Rome et l’Empire. Cette version est discutée, mais elle alimente la légende d’une punition divine immédiate. Le même jour, selon la légende, la montagne se serait effondrée sur lui et les nouveaux occupants. Les récits d’époque, relayés aussi par Matthieu Paris ou Martin le Polonais, ajoutent tempête, tremblement de terre, voire intervention des démons.

 Le Sanctuaire de la Vierge Noire à Myans en Savoie 

Mais un autre aspect du récit s’impose peu à peu : le miracle de Myans. La petite chapelle où les moines chassés avaient trouvé refuge échappe à la destruction. Le flot de boue et de pierre se serait arrêté au seuil de l’église, comme retenu par une main invisible. Ainsi naît le culte de la Vierge Noire de Myans, censée avoir protégé les lieux en arrêtant la coulée meurtrière au seuil du sanctuaire. La tradition populaire rapporte que “les démons ne pouvaient plus pousser les gravats”, selon le moine Étienne de Bourbon, tant la puissance de la Vierge était manifeste. Au fil des siècles, la chapelle deviendra un sanctuaire, étendu, reconstruit, et érigé en lieu de pèlerinage majeur, toujours actif aujourd’hui.

Après l’effondrement, un territoire recomposé

 

 la Pierre Hachée en Savoie. Ce rocher est tombé du mont Granier, en arrière-plan, lors de la catastrophe de novembre 1248.  

Le paysage même garde les traces spectaculaires de l’événement. Les Abymes de Myans, relief chaotique fait de blocs éparpillés et de cuvettes, sont nés de la catastrophe. Des villages entiers ne seront jamais reconstruits. Mais au XIVe siècle, la terre est de nouveau exploitée. Les pentes des Abymes accueillent alors les vignes d’Apremont et des Abymes, deux crus savoyards nés sur les décombres du drame. De nombreuses dépressions apparues dans le paysage après l’éboulement ont donné naissance à des lacs, dont le lac Noir et surtout le lac de Saint-André, situé au pied de l’ancien village homonyme. La Pierre Hachée, bloc erratique de plus de 1 000 mètres cubes, a roulé sur près de 5 kilomètres, et reste aujourd’hui l’un des derniers témoins visibles du cataclysme.

 Été 2020, vue sur le lac de Saint-André en direction de Chambéry.  

Mais l’histoire du Granier ne s’arrête pas en 1248. Le mont Granier n’en a pas fini de faire parler de lui. Toujours instable, il a connu plusieurs éboul ements au XXe et XXIe siècle, notamment en 2016, où de nouveaux pans se sont détachés. Désormais placé sous surveillance constante, le massif est équipé de capteurs mesurant les moindres évolutions de ses fractures, tandis que les scientifiques explorent ses 74 km de galeries. De la tragédie de 1248 subsiste une mémoire vivante, où se mêlent géologie, spiritualité et histoire collective, et qui continue de façonner l’identité du territoire savoyard, entre mémoire, science et spiritualité.

 


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GLOSSAIRE

  • Mont Granier : sommet du massif de la Chartreuse, en Savoie, célèbre pour son effondrement massif en 1248.

  • Mont Apremont : ancien nom du mont Granier avant la catastrophe.

  • Marnes valanginiennes : couches argileuses saturées d’eau, responsables du glissement de terrain.

  • Karstique : qualifie un terrain calcaire sculpté par l’eau, avec grottes et failles souterraines.

  • Corniche : bord supérieur de la falaise du Granier, point de départ de l’éboulement.

  • Abymes de Myans : zone de terrain accidenté formée par les débris du glissement.

  • Vierge Noire de Myans : statue mariale associée au miracle d’avoir arrêté la coulée de pierres.

  • Jacques Bonivard : personnage médiéval accusé d’avoir provoqué la colère divine ayant déclenché l’éboulement.

  • Étienne de Bourbon : moine dominicain auteur d’un récit fondateur de la légende de Myans.

  • Pierre Hachée : bloc rocheux monumental projeté à 5 km lors de la catastrophe.

  • Lac de Saint-André : lac apparu à l’emplacement d’un village détruit, témoignage géologique de l’éboulement.


POUR SE REPÉRER

 


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QUESTIONS FRÉQUENTES

 Quelle est la date exacte de l’effondrement du mont Granier ?
Dans la nuit du 24 au 25 novembre 1248, un pan entier du mont s’est effondré, provoquant une catastrophe d’une ampleur inédite dans les Alpes.

Combien de villages ont été détruits par l’éboulement du Granier ?
Cinq paroisses ont été totalement détruites et deux autres partiellement touchées. Des villages comme Saint-André, Granier ou Vourey ont été entièrement ensevelis.

Qu’est-ce qui a causé cette catastrophe naturelle ?
Des pluies intenses ont saturé les marnes argileuses situées sous le massif calcaire, provoquant un gigantesque glissement de terrain.

Pourquoi parle-t-on d’un miracle à Myans ?
Selon la tradition religieuse, la coulée meurtrière se serait arrêtée au seuil de la chapelle de Myans, où des moines réfugiés priaient la Vierge.

Le mont Granier est-il encore dangereux aujourd’hui ?
Oui. Le massif est toujours instable, surveillé par des capteurs. Des éboulements récents, notamment en 2016, ont rappelé les risques persistants.