Du ventre de Paris au Forum : l’épopée des Halles
4 Rue Baltard Paris
Pendant huit siècles, les Halles ont nourri Paris, brassé ses foules et reflété son âme. D’un marché royal sur des marécages à une cathédrale de verre contemporaine, cette histoire est celle d’un lieu où le cœur de Paris n’a jamais cessé de battre — même quand il changeait d’architecture.
L'HISTOIRE EN BREF
Aux Champeaux, la naissance des Halles
Réjouissances données par la Ville de Paris aux Halles, le 21 janvier 1782, à l’occasion de la naissance du dauphin. (Tableau de Philibert-Louis Debucourt)
Au XIIe siècle, Paris étouffe. Les marchés de l’île de la Cité débordent, les rues empestent, les cris des marchands couvrent les cloches. Alors, Louis VI le Gros tranche : on déménage. En 1137, sur un terrain de marécages, naît un nouveau marché : les Champeaux. À la croisée des routes de Saint-Denis, Montmartre et Saint-Honoré, c’est là que se plante la première graine du futur ventre de Paris.
Les Halles et la rue de la Tonnellerie vers 1828. (Guiseppe Canella- Musée Carnavalet)
Sous Philippe Auguste, le lieu est ceinturé, sécurisé. Saint Louis, lui, en structure l’organisation : halles pour drapiers, poissonniers, corroyeurs... Le quartier bourdonne, jour et nuit, de jurons, de sabots et de cloches. À chaque rue, un métier. À chaque métier, une voix. Les noms sont autant de repères : rue de la Fromagerie, de la Tonnellerie, de la Lingerie... Une symphonie de labeur et de senteurs. Le lieu est chaotique, boueux, odorant — et terriblement vivant. Ici trône le pilori. On y expose les fraudeurs à la vue des passants. Les Halles sont aussi une scène de justice populaire.
Baltard érige une cathédrale de fer
Vue des Halles de Paris depuis l'église Saint Eustache vers 1870. ( Felix Benoist)
Des halles en bois à une cathédrale de fonte : au XIXe siècle, le ventre de Paris change de squelette. L’époque exige du métal, du contrôle, de l’hygiène. L’Empereur impose sa vision. En 1852, Victor Baltard entame la métamorphose du marché, sous l’impulsion de Napoléon III. Le résultat est saisissant : douze pavillons de verre et de fer, chefs-d’œuvre de légèreté industrielle. L’air y circule, la lumière inonde, l’ordre règne.
Chaque pavillon a sa spécialité : viande, poisson, œufs, beurre, volaille... Une ville dans la ville. La foule s’y presse, les paniers s’échangent, les cris fusent. Émile Zola, dans Le Ventre de Paris, en fera le théâtre vibrant de la vie populaire parisienne. Sous les pavillons, les caves bruissent. On y trouve les "compteurs d’œufs", les "trieurs de volaille", les "pèseurs de beurre" — un peuple invisible pour un Paris affamé.
De Paris à Rungis : le déménagement du siècle
Commerce de grandes quantités de viande fraîche aux Halles en 1965.
Février 1969. Il fait froid. Des camions chargés de tulipes, d’artichauts et de caisses de brie quittent lentement le quartier. Les Halles fuient Paris. Le 27 février 1969 commence le déménagement du siècle. En trois jours, 1 500 camions, 5 000 tonnes de denrées, 20 000 personnes déplacent l’ancien monde vers Rungis. La foule vient assister à la dernière nuit, cueillir une tulipe à deux francs, dire adieu à un décor de film. De 1971 à 1973, les pavillons de Baltard sont démolis. Ferraillés, oubliés, sauf un, sauvé et déplacé à Nogent-sur-Marne.
La démolition des Halles en 1971.
Le quartier devient un cratère béant que les Parisiens surnomment le trou des Halles. En 1979, Jacques Chirac inaugure le Forum des Halles et la gare RER. Moderne, souterrain, bousculé par les critiques. Il faudra attendre 2016 pour qu’un nouveau geste architectural vienne coiffer les Halles d’une identité : la Canopée, signée Patrick Berger et Jacques Anziutti. 18 000 écailles de verre pour abriter un conservatoire, des bibliothèques, un pôle culturel, un jardin. De la boue des marécages à la lumière d’une verrière géante, les Halles n’ont cessé de renaître. Elles furent marché, mythe, ruine, Forum, Canopée. Centre névralgique hier, aujourd’hui… et demain. Car à Paris, le cœur change souvent d’architecture — mais il bat toujours au même endroit.
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GLOSSAIRE
Champeaux
Nom ancien désignant l’emplacement des Halles à partir de 1137, situé sur des terrains marécageux asséchés hors les murs de Paris.
Ventre de Paris
Expression popularisée par Émile Zola dans son roman Le Ventre de Paris (1873), désignant les Halles comme centre vital de la capitale, où transitaient les denrées alimentaires nourrissant toute la ville.
Pavillons Baltard
Nom donné aux douze structures métalliques et vitrées construites entre 1852 et 1874 par l’architecte Victor Baltard. Ils symbolisent l’apogée de l’architecture industrielle à Paris.
Regrat
Marché secondaire des Halles où se vendaient à bas prix les invendus, souvent de moindre qualité, aux populations les plus pauvres.
Carreau des Halles
Grande place centrale au cœur du marché des Halles, entourée de pavillons et de rues commerçantes, où se tenait une partie importante des échanges.
Forum des Halles
Centre commercial et culturel inauguré en 1979, construit sur le site des Halles détruites. Il constitue un des symboles de la modernisation du centre de Paris.
La Canopée
Vaste toiture en verre inaugurée en 2016, recouvrant une partie du Forum des Halles. Elle marque la dernière étape de transformation du site.
Rungis
Marché d’intérêt national situé au sud de Paris, vers lequel les activités des Halles de Paris ont été transférées en 1969.
Urbanisme haussmannien
Politique d’aménagement et de transformation de Paris au XIXe siècle menée par le préfet Haussmann, avec laquelle les Halles de Baltard s’inscrivent.
Pilori des Halles
Ancien instrument de justice publique situé aux Halles jusqu’à la Révolution, où l'on exposait les condamnés à la honte.
Trou des Halles
Expression utilisée après la démolition des pavillons en 1971 pour désigner le vide urbain laissé au cœur de Paris avant la construction du Forum.
Nogent-sur-Marne
Ville où fut transféré le seul pavillon Baltard conservé, devenu une salle de spectacle.
Pavillon de la volaille au Halles de Paris en 1897.
POUR SE REPÉRER
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