Les traboules de Lyon : marcher dans l’ombre de l’histoire

27 Rue du Bœuf Lyon

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À Lyon, certaines portes ne mènent pas à un appartement. Elles s’ouvrent sur l’Histoire. Derrière elles, les traboules, ces passages secrets qui traversent immeubles et siècles, racontent la ville autrement : entre ombres, révoltes et mémoire collective.

 


L'HISTOIRE EN BREF

Les Traboules : un labyrinthe spatio-temporel

Deux portes de Traboules dans le vieux Lyon.

Au IVe siècle, Lyon n’est plus romaine, mais pas encore médiévale. Les habitants quittent Fourvière, à sec depuis la panne des aqueducs, pour s’entasser au bord de la Saône. Là, dans le tissu serré des maisons, naissent des passages discrets. On perce pour accéder aux puits partagés. Ces premiers interstices deviendront, plus tard, les traboules.

Au XVIe siècle, la ville explose. On n’élargit pas, on s’infiltre. La ville se serre, les murs s’ouvrent. Et les traboules s’imposent comme solution invisible. Les rues s’étirent, les immeubles se collent. Alors on empile les étages, on traverse les murs. Les traboules deviennent une forme d’adaptation urbaine. Elles sont partout dans le Vieux Lyon, et s’étendent ensuite à la Croix-Rousse, puis à la Presqu’île. On traboule pour gagner du temps, pour relier deux artères, pour relier deux mondes. Et parfois, pour échapper.

Dans la pénombre, une traboule du quartier Saint-Jean s’ouvre sur une cour pavée, un puits au centre, des balcons suspendus. L’air y est plus frais, les pas résonnent. Une odeur de pierre mouillée, un frisson d’histoire.

Résister dans l'ombre d'une Traboule

Traboule de la Cour des Voraces à Lyon. 

Si les traboules sont nées de la contrainte, elles deviendront vite des outils de survie. En 1793, alors que la ville se soulève contre la Convention, les insurgés fuient les sections républicaines en empruntant ces passages de traverse. L’histoire s’y engouffre. Mais c’est en novembre 1831, puis avril 1834, que les traboules prennent un nouveau sens.
Les Canuts, ouvriers tisseurs de soie, se révoltent contre l’abandon des tarifs garantis. Ils dressent des barricades, tiennent les pentes, organisent une véritable insurrection sociale.

Vivre en travaillant, ou mourir en combattant.
— Slogan des Canuts

La Cour des Voraces, bâtie en 1840, devient un emblème ouvrier. Son escalier monumental, en colimaçon à ciel ouvert, domine les pentes de la Croix-Rousse comme un poste de guet.
La ville devient une mécanique de lutte. Chaque traboule, un engrenage. Un siècle plus tard, une autre guerre. Une autre urgence. Pendant l’Occupation, Lyon devient capitale de la Résistance intérieure. Des tracts imprimés rue Burdeau, des rendez-vous clandestins à Saint-Georges, des livraisons de messages entre les cours. Les traboules, hors plans, deviennent des veines souterraines. Des ouvriers en colère aux résistants traqués, un même besoin : se cacher, circuler, survivre. Et toujours, les traboules pour fil conducteur.

Un trésor souvent innaccessible

Arche à l'intérieur d'une Traboule de Lyon. 

Aujourd’hui, on recense près de 500 traboules à Lyon. Elles sont 215 dans le Vieux Lyon, 163 à la Croix-Rousse, 130 dans la Presqu’île. Mais leur majorité est fermée. Car elles ne sont pas publiques : elles traversent des immeubles privés. Depuis 1990, la ville de Lyon propose des conventions “Cour-Traboule” : ouverture au public entre 7h et 19h en échange de l’entretien pris en charge. Une quarantaine de passages sont ainsi accessibles. Mais la réalité est plus complexe.

Des habitants excédés par le bruit, des portes verrouillées, des digicodes. Dans la “longue traboule” de la rue Saint-Jean, certains parlent d’enfer quotidien. Entre patrimoine et vie privée, entre mémoire et marketing, le fil est mince. Les traboules sont des coutures urbaines, des failles où la mémoire filtre. Elles relient le quotidien à la légende, les artisans aux insurgés, les enfants aux ombres. Elles sont nées de la nécessité, ont grandi avec la colère, et survivent dans la curiositéLa prochaine fois que vous verrez une porte entrouverte dans le Vieux Lyon… regardez bien. C’est peut-être l’histoire qui vous invite à passer.

Photo de couverture : Vue depuis une Traboule dans un  immeuble de Lyon. Auteur : Celeda. Source : wikipedia


 "Fachri Maulana, étudiant originaire d’Indonésie, part un été à la découverte des traboules, des « allées de traverse » si emblématiques de la ville de Lyon. Loin des représentations touristiques habituelles, son exploration de la Croix-Rousse et du Vieux Lyon donne naissance à une balade graphique, singulière et sensible."

Note aux lecteurs

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GLOSSAIRE

  • raboule : passage couvert traversant un ou plusieurs immeubles, typique de Lyon, permettant de relier deux rues. Nées de contraintes urbaines, elles ont aussi servi à la résistance ou à la révolte.

  • Trabouler : verbe d’usage local signifiant “emprunter une traboule” ou “passer à travers les immeubles”. Terme populaire à Lyon.

  • Miraboule : passage en cul-de-sac, sans débouché sur une autre rue. Inventé par l’historien lyonnais Félix Benoît dans les années 1960.

  • Cour des Voraces : traboule emblématique de la Croix-Rousse, célèbre pour son escalier monumental. Lieu de mémoire des Canuts et de la Résistance.

  • Longue traboule : traboule du Vieux Lyon reliant la rue Saint-Jean à la rue du Bœuf à travers plusieurs cours. Très fréquentée par les visiteurs.

  • Canuts : ouvriers tisseurs de soie installés à la Croix-Rousse au XIXe siècle. Révoltés en 1831 et 1834, ils utilisèrent les traboules pour s’organiser et circuler discrètement.

  • Résistance : pendant la Seconde Guerre mondiale, les traboules furent utilisées comme voies de communication et d’évasion par les réseaux résistants à Lyon, alors capitale de la Résistance intérieure.

  • Convention “Cour-Traboule” : accord signé depuis 1990 entre la Ville de Lyon et les copropriétés permettant l’ouverture au public de certaines traboules en échange de l’entretien des lieux.

  • Croix-Rousse : quartier ouvrier de Lyon, lieu historique des Canuts, riche en traboules utilitaires et fonctionnelles.

  • Vieux Lyon : quartier Renaissance classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Il abrite les traboules les plus anciennes et les plus décoratives.

  • Presqu’île : cœur commercial de Lyon, entre Rhône et Saône. Certaines traboules y subsistent malgré les grands travaux du XIXe siècle.


POUR SE REPÉRER

 


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