Le château de Chenonceau : cinq siècles d’Histoire au féminin

Chenonceaux Indre-et-Loire Centre-Val de Loire

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Elle fut reine, bâtisseuse, maîtresse ou résistante. À chaque époque, une femme s’est dressée entre Chenonceau et l’oubli. Suspendu au-dessus du Cher, le château semble encore porter leur empreinte dans chaque reflet d’eau, chaque pierre taillée. Plus qu’un joyau de la Loire, Chenonceau est un hommage à la puissance féminine dans l’Histoire de France.

 


L'HISTOIRE EN BREF

Naissance d’un château entre les mains d’une femme

 Restitution de la façade sud sur le Cher, du château de Thomas Bohier. Dessin de l'architecte Félix Roguet 

En 1513, Katherine Briçonnet n’est ni reine ni noble, mais elle pose les fondations d’un chef-d’œuvre. Tandis que son époux Thomas Bohier guerroie en Italie, c’est elle qui supervise le chantier de Chenonceau, sur les ruines d’un ancien moulin médiéval. Elle décide des plans, ajuste les volumes, harmonise les lignes. Le style est nouveau : gothique par ses racines, mais déjà Renaissance dans ses proportions. Sa devise, sculptée sur la pierre d’un linteau, semble adresser un clin d’œil au futur : « S’il vient à point, me souviendra. »

Diane de Poitiers

Trente ans plus tard, le château devient un cadeau royal. Henri II ne l’offre pas à sa reine, mais à sa favorite : Diane de Poitiers, de vingt ans son aînée. Cette femme, que toute la cour observe et imite, règne en arbitre des élégances et en stratège politique. Elle transforme Chenonceau en résidence de plaisance et y fait aménager un jardin structuré, moderne pour son temps. Mieux encore, elle fait bâtir un pont de pierre enjambant le Cher. Ce geste architectural est aussi une affirmation : un trait d’union entre son pouvoir et l’éternité.

Catherine de Médicis 

Mais le destin bascule en juin 1559. Lors d’un tournoi à Paris, la lance du comte de Montgomery transperce le crâne d’Henri II. Le roi s’éteint, et avec lui un monde vacille. L’ordre ancien chancelle sous le fracas d’un tournoi tragique. Catherine de Médicis, longtemps tenue à distance, s’empare du pouvoir et chasse sa rivale. Elle ne se contente pas de reprendre Chenonceau : elle le reconquiert, pièce après pièce. Diane est humiliée, dépouillée de ses bijoux, de ses titres, du château qu’elle aimait. Là où Diane avait posé un pont, Catherine fait élever une galerie à deux étages, chef-d’œuvre d’équilibre posé sur l’eau. Le symbole est clair : la favorite avait offert une perspective, la Reine y installe le pouvoir.

Reine blanche, Lumières et Révolution

 

Catherine gouverne le royaume depuis Chenonceau, depuis son Cabinet Vert, entourée de tapisseries d’Italie et de parfums d’ambition. Elle y organise des fêtes fastueuses pour asseoir l’autorité du jeune roi Charles IX. La galerie devient salle de bal, théâtre d’apparat pour une monarchie en crise. Mais la splendeur s’efface, peu à peu, dans le silence.

Louise de Lorraine 

En 1589, Henri III est assassiné. Louise de Lorraine, sa veuve, se retire à Chenonceau. Elle s’installe dans les étages, au plus loin du monde. Sa chambre devient celle d’un deuil perpétuel : murs peints en noir, décorés de larmes d’argent, de plumes blanches, de couronnes d’épines. Elle ne porte que du blanc, selon l’étiquette du deuil royal. Autour d’elle, plus de cour, plus de fêtes. Juste des prières, des soupirs, des souvenirs. On l’appelle la Reine Blanche.

Louise Dupin 

Un siècle plus tard, Louise Dupin, femme d’esprit et d’influence, redonne vie au château. Elle y tient un salon des Lumières qui attire Montesquieu, Buffon, Voltaire et Rousseau, qu’elle emploie comme secrétaire. Ensemble, ils esquissent un projet inédit : un plaidoyer pour les droits des femmes, avant même la Révolution. Mais quand celle-ci gronde, la violence menace tout. Louise a l’idée géniale de faire passer Chenonceau pour un pont utile à la République. Elle cache la chapelle, rebaptise les pièces, protège les archives. Grâce à elle, Chenonceau échappe à la destruction, en se déguisant en ouvrage d’art public.

Restauré, transformé, sauvé par des femmes

 Photographie de Daniel Freuler, du château de Chenonceau de Marguerite Pelouze vers 1885. 

Au XIXe siècle, Marguerite Pelouze, héritière industrielle, rachète Chenonceau. Elle rêve de recréer le faste de la Renaissance. Elle fait appel à un architecte formé par Viollet-le-Duc, restaure salons, boiseries, caissons. Elle dépense sans compter pour faire renaître l’époque de Diane. Mais l’histoire se répète : un scandale politique touche son beau-frère Daniel Wilson, gendre du président Jules Grévy. Marguerite est ruinée. Chenonceau est revendu.

Simonne  Menier

C’est en 1913 que le domaine entre dans la famille Menier, rois du chocolat. Un an plus tard, la guerre éclate. Simonne Menier, infirmière et épouse du propriétaire, transforme la galerie en hôpital militaire. Les bals d’autrefois laissent place à des rangées de lits, des rideaux blancs flottant dans la lumière du Cher. On opère. On prie. On pleure. Les blessés arrivent en silence, parfois portés sur des brancards, parfois à demi-conscients, le regard perdu entre deux mondes. Plus de deux mille soldats y sont soignés jusqu’en 1918.

 

 Mme Menier, infirmière major, au cours d'une opération chirurgicale à l'hôpital de Chenonceau. 

Lors de la Seconde Guerre mondiale, la rivière devient ligne de démarcation : la rive droite, côté entrée du château, est en zone occupée. Mais la porte sud de la galerie ouvre, elle, sur la zone libre. Les Menier s’en servent discrètement pour faire passer des résistants, des enfants juifs, des fuyards. La grande salle suspendue sur le Cher devient un couloir de liberté.

Aujourd’hui encore, Chenonceau est un château privé. Laure Menier, descendante directe, veille sur son équilibre. Sans subventions de l’État, elle entreprend des restaurations ambitieuses. Chaque pierre, chaque vitrail, chaque allée de jardin reflète une mémoire. Celle d’un château qui, depuis cinq siècles, n’a jamais cessé d’appartenir aux femmes.

 

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GLOSSAIRE

  • Renaissance française : mouvement artistique et culturel du XVIe siècle en France, influencé par l’Italie, marqué par un retour à l’Antiquité, un raffinement architectural et l’essor des arts.

  • Cabinet Vert : pièce de travail privée de Catherine de Médicis à Chenonceau, d’où elle gouverna le royaume pendant sa régence.

  • Salle de bal : grande pièce de réception utilisée pour les fêtes et les danses à la cour. À Chenonceau, elle prend la forme d’une galerie construite au-dessus du Cher.

  • Galerie : espace long, souvent voûté et orné, utilisé pour les déambulations, les cérémonies ou comme hôpital durant la guerre.

  • Ligne de démarcation : frontière intérieure entre la zone occupée par les nazis et la zone libre durant la Seconde Guerre mondiale. Le Cher formait cette frontière à Chenonceau.

  • Régente : femme assurant le pouvoir royal en l’absence ou minorité du roi. Catherine de Médicis fut régente à plusieurs reprises pour ses fils.

  • Salon des Lumières : espace de rencontre intellectuelle et artistique, typique du XVIIIe siècle, accueillant philosophes, écrivains et scientifiques.

  • Plumes de deuil : éléments décoratifs symbolisant le chagrin, utilisés notamment dans la chambre noire de Louise de Lorraine.

  • Galerie à double étage : innovation architecturale de Catherine de Médicis permettant d’accueillir des fêtes royales sur deux niveaux, surplombant le Cher.


POUR SE REPÉRER

 


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