Chés Cabotans d'Amiens : Pour faire de la vie un spectacle

31 Rue Edouard David Amiens

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Ch’timpérameint, ch’caractère picard, individuel’meint caustique, gueulard, bonnasse, boein tchoeur…d’voit eingeindrer un Lafleur picard !

Dans les coulisses de la culture amiénoise, une tradition théâtrale aussi riche que méconnue persiste : les Cabotans d'Amiens. À travers cet article, nous dévoilons le voile sur cette forme artistique unique, née dans les ruelles de Saint-Leu au crépuscule du XVIIIe siècle. Découvrez l'origine et l'évolution des marionnettes qui ont captivé les générations, reflétant l'esprit, l'humour et la résilience des habitants d'Amiens. De Lafleur, le héros emblématique, aux adaptations modernes, ce récit est une ode à un héritage culturel vivant, un miroir fascinant de la communauté picarde.

Les Origines des Cabotans d'Amiens

Origine du Nom "Cabotans"

Le terme "Cabotans" utilisé pour désigner les marionnettes ou les acteurs de ce théâtre populaire d'Amiens trouve ses racines dans l'argot parisien, où "cabotin" signifie un acteur de théâtre. Cette appellation renvoie à l'aspect souvent exubérant et théâtral des personnages représentés, reflétant la vivacité et le dynamisme propres au théâtre populaire. Le nom illustre parfaitement l'esprit ludique et la spontanéité qui caractérisent les spectacles des Cabotans, mettant en lumière leur capacité à captiver et à divertir les publics de toutes générations.

Naissance des Cabotans

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La naissance officielle des Cabotans d'Amiens remonte à l'année 1797. Cette époque marque l'ouverture du premier théâtre de Cabotans, fondé par un individu nommé Normand, situé rue Pavé, dans le quartier de Saint-Leu. Cependant, il est important de noter que les activités théâtrales informelles existaient probablement avant cette date, jouées librement sans contrôle de police.

Les Cabotans d'Amiens ont été fortement influencés par le grand théâtre. Les habitants des quartiers populaires d'Amiens, souvent avec des moyens financiers limités, ne pouvaient pas se permettre de fréquenter régulièrement le grand théâtre. Cela les a motivés à créer leur propre forme de théâtre à domicile. Ils construisaient eux-mêmes les décors, les costumes et jouaient les différents rôles, transférant ainsi l'essence du grand théâtre dans leurs propres maisons.

Une galerie de personnages

Les spectacles des Cabotans d'Amiens sont animés par des personnages hauts en couleur, parmi lesquels Lafleur se distingue comme le héros emblématique. Lafleur, avec son esprit vif et son cœur noble, symbolise les valeurs de courage et d'ingéniosité chères aux habitants d'Amiens. Chaque personnage incarne un aspect de la culture et des traditions picardes, offrant aux spectateurs un miroir des traits caractéristiques de leur communauté. Ces figures, ancrées dans le folklore local, jouent un rôle crucial dans la transmission de l'histoire et des coutumes régionales.

Des Acteurs amateurs

Les acteurs marionnettistes étaient principalement des amateurs, exerçant divers métiers dans la journée. La plupart d’entre eux étaient ouvriers, souvent illettrés, n’hésitant pas à jouer les pièces, en s'appuyant sur la mémoire des spectacles qu'ils avaient vu jouer au grand théâtre, ou même plus souvent, qu’on leur avait raconter.

L'improvisation jouait un rôle clé dans les représentations. Parfois, les acteurs oubliaient leurs lignes et devaient improviser, recourant fréquemment au patois picard, qui est devenu une caractéristique emblématique des spectacles de marionnettes. Cette inclusion du patois picard a enrichi l'authenticité et le charme des représentations.

Le Picard, la langue d’une communauté

L'usage du patois picard dans les spectacles des Cabotans d'Amiens était une caractéristique de cette forme traditionnelle de théâtre populaire. À cette époque Le « Picard » est la langue officielle des milieux populaires amiénois, celles que parlent ceux qui vivent dans les « bas quartiers ». Méprisée par la bourgeoisie qui considère ce patois comme dégradant, l’utilisation du picard par le peuple fait office d’acte de résistance. Cette langue régionale, profondément ancrée dans la culture et l'histoire de la Picardie, servait non seulement à rendre les représentations plus accessibles et familières pour le public local, mais elle reflétait également une fierté et une appartenance culturelle forte.

De plus l’utilisation du Picard créait un lien immédiat et intime entre les marionnettistes et leur audience, transformant chaque spectacle en un véritable échange communautaire. Ce patois était également très utile pour l‘écriture de satire humoristique. Il permettait de sentir l’humeur et de refléter les différences sociales entre les habitants des quartiers populaires et la bourgeoisie amiénoise. En faisant résonner sur scène les mots et les tournures propres à leur environnement quotidien, les Cabotans d'Amiens célébraient une identité picarde militante, tout en conservant et en partageant un patrimoine culturel riche et vivant.

Des spectacles et une publicité fait maison

Les spectacles se tenaient généralement dans les petites pièces des maisons ouvrières, aux dimensions modestes. Les meubles étaient retirés pour faire de la place au public, assis sur des bancs, tandis que les castelets étaient placés entre la pièce principale et un réduit qui servait de coulisses. Avec le temps, le nombre de théâtres de Cabotans à Amiens a augmenté, atteignant environ une vingtaine à un moment donné.

La publicité pour ces spectacles était simple mais efficace, utilisant des papiers noirs avec des programmes inscrits en blanc ou des annonces faites par des enfants dans les rues. Les spectacles de Cabotans étaient des événements communautaires vibrants où le public participait activement. Les spectateurs, vus comme des partisans, interagissaient avec les acteurs, lançant des encouragements ou des avertissements, et même parfois des objets comme des pommes, pour s'immerger complètement dans l'action.

Après la Première Guerre mondiale, le cinématographe émergeant éclipse les théâtres de marionnettes picards. Face à ce déclin, la société des « Rosatis picards » intervient, soutenant les cabotans comme symboles de l'identité régionale. En 1930, René Villeret et Maurice Domon, fervents passionnés, créent « La Société des amis de Lafleur » pour perpétuer la tradition marionnettiste.

Évolution et Modernisation

Au fil des années, les spectacles de Cabotans se sont adaptés aux changements de la société, tout en conservant leur essence traditionnelle. Dans les années 1950-60, les spectacles se sont mis à se déplacer. Ainsi des représentations étaient données les week-ends dans des salles des fêtes de la campagne Picarde. À cette époque, « Ché Cabotans d’Amiens » attirent toujours un public enthousiaste, composé à la fois d'enfants et d'adultes, ces derniers retrouvant à la fois un plaisir nostalgique et un lien avec l'esprit du terroir.

Aujourd’hui, cette modernisation se manifeste à travers l'introduction de nouveaux thèmes plus contemporains, l'emploi de techniques scéniques innovantes et l'adaptation aux goûts d'un public en évolution. Cette capacité à évoluer tout en préservant l'authenticité de leur art témoigne de la vitalité et de la pertinence continue des Cabotans dans le paysage culturel moderne.

Maurice Domon, le Gepetto amiénois

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Maurice Domon au centre entouré par la troupe Chés Cabotans en 1967. source : wikipedia

En 1933, Maurice Domon lance « Chès cabotans d’Amiens », ancrant davantage les marionnettes dans le patrimoine populaire et les propulsant sur la scène internationale, de Paris à Rome. En plus d'être animateur et acteur, Domon enrichit le répertoire de pièces variées, mettant en scène Lafleur dans des rôles centraux, tant dans les comédies que dans les drames. Il crée autour de Lafleur une galerie de personnages colorés, de Sandrine, sa compagne positive, à Tchot Blaise, son fidèle acolyte, en passant par les gendarmes et autres autorités, souvent dépeints de manière humoristique.

 

La troupe continue d'animer les rues d'Amiens et de Picardie jusqu'en 1962, préservant la culture picarde. En 1965, le théâtre devient municipal sur recommandation du ministère de la Culture, et le 5 février 1967, il est officiellement intégré au musée de Picardie, devenant le Théâtre de Marionnettes Permanent de la ville d'Amiens.

L'Héritage et la Tradition Continue

Les Cabotans d'Amiens exercent un impact culturel et éducatif significatif sur la communauté. Au-delà du divertissement, ces spectacles servent de vecteur pour transmettre des récits, des valeurs morales et des enseignements. Ils jouent un rôle important dans l'éducation des jeunes générations, leur permettant de se connecter avec leur héritage culturel, tout en inculquant des leçons de vie à travers des histoires captivantes.

Les Cabotans d'Amiens n'ont pas évolué en vase clos ; ils ont été influencés et ont interagi avec diverses autres formes d'art et de culture populaire. Que ce soit à travers l'incorporation de la musique traditionnelle, l'adaptation de contes populaires ou l'influence du cinéma et de la télévision, les Cabotans ont constamment intégré des éléments externes, enrichissant ainsi leur propre expression artistique tout en restant ancrés dans leur tradition unique.