Le Camp de Gurs : Une zone de non droit
4818 km
Imp. d'Ossau Gurs Pyrénées-Atlantiques
« Le bourreau tue toujours deux fois, la seconde fois par l’oubli. » Elie Wiesel
En France, l’histoire du camp de Gurs fait partie des plus méconnue. Niché au cœur du Béarn dans les Pyrénnées, ce camp fut pourtant l'un des premiers et des plus vastes établis sur le territoire français, avant même l'éclatement de la seconde guerre mondiale.
Initialement conçu en avril 1939 pour accueillir les réfugiés fuyant la guerre civile espagnole, le camp de Gurs devient sous le régime de Vichy, le théâtre de persécution pour des milliers de Juifs, d'opposants politiques et "d'étrangers ennemis".
La Création du Camp du Gurs
La Guerre Civile Espagnole : Un Exode Vers l'Inconnu
La guerre civile espagnole, qui a déchiré le tissu de la société espagnole de 1936 à 1939, ne fut pas seulement un prélude à la Seconde Guerre mondiale ; elle fut également le catalyseur de l'une des premières grandes vagues de réfugiés du XXe siècle en Europe. La défaite des forces républicaines face aux nationalistes de Franco a contraint des dizaines de milliers d'Espagnols à chercher refuge au-delà des Pyrénées, en France. Parmi eux, des intellectuels, des artistes, des ouvriers et des membres des Brigades internationales, ces volontaires internationaux venus défendre la République espagnole contre le fascisme.
En 1939, après la chute de Barcelone, près d'un demi-million de personnes ont traversé la frontière franco-espagnole, cherchant refuge en France. Cet épisode connu sous le nom de « Retirada », obligea le gouvernement français, dépassé par l'ampleur de cet afflux, a rapidement organisé des camps d'internement sur son territoire. Ce fût le cas notamment sur les plages d'Argelès-sur-Mer, de Saint-Cyprien et du Barcarès, dans les Pyrénées-Orientales. Les conditions de vie dans ces camps sont vite devenues très difficiles, et ce qui ne devait être pour les réfugiés qu’un hébergement temporaire, se prolongea finalement sur plusieurs mois, voire plusieurs années pour les moins chanceux.
Les camps comme réponse à l'urgence
La construction du camp de Gurs a été initiée en réponse à la situation désastreuse des installations d'accueil pour les réfugiés à Argelès et Saint-Cyprien, marquée par des conditions de vie précaires et insuffisantes. Face à l'urgence, la mission de construire rapidement un nouveau camp a été confiée à l'ingénieur des Ponts et Chaussées, Elysée Larribau, par le préfet des Basses-Pyrénées. La gestion du camp devait être partagée entre l'autorité militaire, responsable de l'administration et de la garde, et le ministère de l'Intérieur, chargé de l'entretien et du ravitaillement. Cette organisation, bien que théoriquement établie, se heurta à des difficultés d'application en pratique, notamment parce que la gestion quotidienne était assurée par des militaires.
En seulement 42 jours, du 15 mars au 25 avril, le camp de Gurs a été érigé suivant un modèle inspiré par le camp du Barcarès, avec une structure organisée en îlots autonomes pouvant chacun accueillir environ 1500 réfugiés. Cette rapidité de construction, réalisée sur un terrain préparé dans l'urgence, illustre l'ampleur de la crise humanitaire à laquelle la France devait faire face à cette époque. Les efforts logistiques, incluant la mise en place d'infrastructures telles que l'approvisionnement en eau potable, l'éclairage, et le drainage, soulignent la complexité et l'urgence de la situation. À la fin d'avril, le camp accueillait déjà plus de 15 000 Espagnols, témoignant de la gravité de la crise des réfugiés à laquelle le gouvernement tentait de répondre.
La Structure et la Vie au Sein du Camp de Gurs
L'Architecture de l'Enfermement
Le camp de Gurs, conçu à l'origine pour héberger les réfugiés de la guerre civile espagnole, s'étendait sur un vaste espace de 2 km de long sur 500 mètres de large. Le camp est un vaste réseau, composés d’espace remplis de baraquements, chaque zone étant séparée par des fils barbelés. Ainsi le camp se divise en plusieurs secteurs, chacun destiné à un groupe spécifique d'internés.
Cette organisation appuyée par La présence omniprésente des gardes, a été pensée pour renforcer le sentiment de surveillance et d’isolement chez les internés. Cette structuration rigide imposait une séparation entre les hommes d'un côté, et les femmes et enfants de l'autre, renforçant l'impression d'un isolement absolu. Des exceptions, notamment durant l'été 1939 et après 1941, permettaient cependant aux internés d'accéder à l'allée centrale pour des rencontres, adoucissant légèrement leur quotidien.
La Vie Derrière les Barbelés
Au camp de Gurs, la double enceinte de barbelés, forme à la fois une barrière physique et psychologique. La première enceinte, qui entourait directement les îlots de vie, était utilisée par les réfugiés pour faire sécher leur linge, malgré le risque que celui-ci soit endommagé par les fils. L'unique ouverture de cette clôture était marquée par un panneau indiquant le nom de l'îlot, reliant les résidents à l'allée centrale du camp.
La seconde barrière servait à isoler complètement le camp du monde extérieur, laissant entre elle et la première un espace pour la ronde des gardes. Malgré les barbelés, s'évader restait envisageable de nuit, le véritable défi étant alors de trouver un refuge sûr, ce qui rendait la plupart des tentatives d'évasion vaines sans l'aide extérieure.
L’art comme témoin de l'Histoire
Malgré l'adversité, la vie au camp de Gurs était également marquée par des actes de solidarité, de résistance et de création culturelle. Des ateliers, des conférences et des spectacles étaient organisés par les internés eux-mêmes, témoignant de leur volonté de conserver une forme de dignité et de normalité dans des circonstances extraordinaires.
Ces activités, tout comme les journaux intimes, les lettres et les œuvres d'art produites dans le camp, sont aujourd'hui des sources précieuses pour comprendre la vie quotidienne à Gurs.
Le Camp de Gurs sous le Régime de Vichy
Des conditions de vie inhumaines
Intérieur d'un baraquement où dormait jusqu'à 60 personnes
L'administration du camp de Gurs, initialement sous la responsabilité du gouvernement français, passa sous le contrôle du régime de Vichy après l'armistice de juin 1940. Ce changement marqua une détérioration des conditions de vie et une augmentation des persécutions à l'encontre des internés, notamment des Juifs et des opposants politiques. Les conditions de vie à Gurs étaient marquées par la précarité et la souffrance.
Les internés étaient entassés dans des baraquements surpeuplés, souvent sans isolation ni chauffage adéquat, ce qui les exposait aux rigueurs du climat. La nourriture était insuffisante et de mauvaise qualité, l'accès à l'eau potable était limité, et les installations sanitaires étaient largement insuffisantes pour le nombre de personnes internées. Ces conditions entraînaient des épidémies régulières et des taux de mortalité élevés parmi les prisonniers. La collaboration entre les autorités de Vichy et l'occupant nazi facilita la déportation de milliers d'internés vers les camps de concentration et d'extermination.
Une Lutte Quotidienne pour la Survie
Pierre Laval à Vichy, le 10 juillet 1940, jour du vote à l'Assemblée nationale des pleins pouvoirs au maréchal Pétain.
Sous l'autorité de Vichy, le camp de Gurs devient le réceptacle d'une population plus variée et tragiquement ciblée. Réfugiés juifs chassés par les persécutions nazies, opposants politiques étiquetés comme menaces pour le régime collaborateur, et "étrangers ennemis" perçus comme des risques pour la sécurité nationale : tous convergent vers Gurs, transformant ce lieu en symbole de l'oppression exercée par Vichy et par extension, par le Troisième Reich.
Les conditions de vie dans le camp de Gurs, déjà précaires à ses débuts, se détériorent rapidement sous l'afflux croissant de prisonniers et la négligence administrative. La surpopulation exacerbée transforme les espaces de vie en véritables foyers de misère humaine, où la faim, le froid, et les maladies telles que la typhoïde et la dysenterie font des ravages. Les témoignages des survivants dépeignent un quotidien marqué par la lutte pour l'accès à l'eau, à la nourriture et aux soins de base, dans un contexte de dénuement et d'abandon quasi total.
La Déportation et la Souffrance
Le voyage sans retour depuis Gurs
Le camp de Drancy en région parisienne
Dans les années les plus sombres du camp de Gurs, la réalité de la déportation se matérialise en une série de vagues successives, marquant le début d'un voyage sans retour pour des milliers d'internés. Entre août 1942 et mars 1943, sous l'égide du régime de Vichy, 3,907 prisonniers juifs furent livrés aux autorités allemandes et envoyés principalement vers le camp de transit de Drancy, aux portes de Paris. De là, ils furent acheminés en six convois vers les abîmes de l'extermination nazie, avec Auschwitz comme destination finale pour la majorité. Ces chiffres, aussi glacials soient-ils, ne révèlent qu'une fraction de l'horreur vécue par les internés et leur cruel destin.
L’importance des témoignages de rescapés
Les récits des survivants du camp de Gurs constituent une fenêtre poignante sur le quotidien au sein du camp, mais également sur l'incertitude et la terreur face à la perspective de la déportation. Ces témoignages révèlent les facettes multiples de la souffrance humaine : la faim dévorante, les épidémies ravageuses, le froid mordant, et par-dessus tout, l'angoisse de l'inconnu.
Les récits de ceux qui ont survécu dépeignent non seulement la lutte pour la survie dans des conditions inimaginables mais aussi des actes de solidarité, des moments de résistance spirituelle et des liens d'amitié indéfectibles forgés dans l'adversité.
La Fermeture du Camp et ses Conséquences
De l'Internement à la Libération
« Gurs, une drôle de syllabe, comme un sanglot qui ne sort pas de la gorge » Louis Aragon
La fermeture du camp de Gurs en novembre 1943 ne marque pas seulement la fin d'une sombre période d'internement, mais également le début d'une nouvelle phase dans l'histoire complexe de ce lieu. Après avoir servi de camp d'internement sous le régime de Vichy, Gurs fut brièvement rouvert en 1944 pour détenir des prisonniers politiques et des membres de la résistance française, capturés par la police de Vichy.
La libération de la France par les Alliés en août 1944, transforme une fois de plus la fonction du camp, qui devient un lieu de détention pour prisonniers de guerre allemands et collaborateurs français, avant que le camp ne soit définitivement fermé à la fin de l'année 1945.
Un très lourd bilan Humain
L'histoire du camp de Gurs est jalonnée de chiffres qui témoignent de l'ampleur de la tragédie humaine vécue entre ses murs. Près de 60,000 personnes y ont été internées, avec des conditions de vie déplorables, les maladies et la faim tuant plus de 1,100 personnes internées dans ce camp.
Parmi eux plus de 18 000 étaient Juifs. Les vagues de déportation ont conduit la plupart d’entre eux d’abord vers le camp de Drancy en région parisienne, avant d’être envoyés vers les camps d'extermination nazis, principalement Auschwitz.
La Mémoire du Camp de Gurs
Après la Tourmente : Le Devenir de Gurs
Dans les années qui ont suivi la fermeture du camp de Gurs, un voile de silence et d'oubli sembla se poser sur son histoire tumultueuse. La France, émergeant des ruines et du deuil de la Seconde Guerre mondiale, était engagée dans un processus de reconstruction nationale, tant physique que morale. Ce contexte a contribué à une certaine réticence collective à revisiter les pages les plus sombres de son passé récent, notamment celles impliquant la collaboration avec le régime nazi et la participation à la déportation des Juifs.
Pourtant, cette tentative d'oubli n'a pas effacé la mémoire du camp de Gurs. Au contraire, elle a suscité, avec le temps, une quête de vérité et de reconnaissance qui s'est manifestée par des efforts de commémoration et de recherche historique. Les descendants des internés, les historiens et les militants de la mémoire ont joué un rôle crucial dans ce réveil de la conscience collective, mettant en lumière non seulement les souffrances endurées mais aussi l'esprit de résilience des victimes.
Le camp de Gurs dans la Mémoire Européenne
Aujourd’hui un parcours mémoriel, jalonné de panneaux explicatifs et de stèles commémoratives, invite désormais les visiteurs à un voyage poignant dans le passé, offrant une fenêtre sur les vies brisées par la guerre et l'intolérance. Ces initiatives sont autant de témoignages de la volonté collective de reconnaître et de réfléchir aux sombres chapitres de notre histoire.
De plus l'histoire du camp de Gurs dépasse largement les frontières de la France et vient s’inscrire intégralement dans la mémoire collective européenne. En effet en ayant accueilli des internés de plus de cinquante nationalités, Gurs est devenu un symbole de l'ampleur et de la complexité des persécutions durant la Seconde Guerre mondiale. La reconnaissance du camp comme lieu de mémoire de la Shoah s'inscrit dans un effort plus large de commémoration des victimes du nazisme à travers l'Europe, soulignant l'importance de se souvenir des tragédies passées pour bâtir un avenir fondé sur le respect, la tolérance et la paix.
Un Devoir de Mémoire et d'Éducation
Les efforts pour perpétuer la mémoire du camp de Gurs ne se limitent pas à la commémoration. Ils englobent également des initiatives éducatives destinées à sensibiliser le public, notamment les jeunes générations, aux dangers de l'extrémisme et de la discrimination. À travers des expositions, des conférences et des projets pédagogiques, le camp de Gurs devient un outil d'éducation au devoir de mémoire, rappelant que les leçons du passé doivent éclairer nos choix et nos actions présentes.
En définitive, la mémoire du camp de Gurs, entretenue par des monuments, des cérémonies et un engagement constant en faveur de l'éducation historique, constitue un legs précieux pour la France et pour l'Europe. Elle témoigne de la capacité de l'humanité à se souvenir, à rendre hommage et à apprendre de l'histoire, même dans ses heures les plus sombres. Reconnaître et commémorer l'histoire du camp de Gurs, c'est affirmer notre engagement collectif envers un monde où la haine et l'intolérance n'ont pas leur place, un monde où la mémoire des victimes éclaire notre chemin vers la justice et la paix.