La Grande première de la Guillotine : Des avis mitigés

Pl. de l'Hôtel de Ville Paris Département de Paris

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Dans l'imaginaire collectif, peu de machines incarnent la terreur et la transformation avec autant de force que la guillotine. Symbole indélébile de la Révolution française, elle est à la fois un outil de mort et un emblème d'égalité devant la justice. Conçue dans un esprit d'humanité pour mettre fin aux méthodes d'exécution douloureuses et arbitraires, la guillotine promettait une fin rapide et "clémente" à ceux que la société avait jugés coupables.

La première utilisation de la guillotine, sur Nicolas Jacques Pelletier le 25 avril 1792, ne fut pas seulement un acte judiciaire ; elle marqua l'aube d'une ère où la sentence de la justice serait mécanisée, impersonnelle, et inéluctable. Dans cet article, nous allons explorer l'histoire fascinante de la guillotine à travers le récit de cette première exécution. Feuilletons ensemble les pages sanglantes de l'histoire, pour découvrir comment cette invention est devenue un outil de terreur révolutionnaire.

La Genèse de la Guillotine

Des méthodes d'exécution traditionnelles

Supplice de Damiens

Exécution de Robert-François Damiens pour régicide, place de la Grève (aujourd’hui place de l'Hôtel-de-Ville) à Paris en mars 1757

Avant la Révolution française, la justice pénale était un spectacle de brutalité et d'inégalité. Selon le statut social du condamné, les exécutions pouvaient varier allant de la décapitation au bûcher, en passant par la roue ou la pendaison. Ces méthodes, souvent longues et douloureuses, étaient conçues pour être autant des punitions que des moyens de dissuasion publiques.

 

Pour les nobles, la décollation (action de trancher le cou) était souvent privilégiée, une fin jugée plus digne et moins barbare, tandis que les roturiers pouvaient être soumis à des tortures et des exécutions prolongées et publiques.

La guillotine : un concept humaniste

 

Anonymous - Portrait de Joseph-Ignace Guillotin (1738-1814), médecin et homme politique. - P1052 - Musée Carnavalet (cropped).jpg
Portrait du médecin et homme politique Joseph-Ignace Guillotin (1738-1814)

Dans ce climat de cruauté apparente où la justice semblait servir plus à terroriser qu'à équilibrer, l'émergence de la guillotine fut promue comme une avancée significative vers une justice plus équitable et moins barbare. L'idée de Joseph-Ignace Guillotin, médecin et législateur animé par des valeurs d'humanisme, était à la fois simple et révolutionnaire : concevoir un dispositif mécanique qui garantirait une fin rapide et indolore pour tous, sans distinction de classe sociale. Cette promesse d'une mort moins cruelle et plus rapide représentait une rupture radicale avec les méthodes d'exécution traditionnelles, qui non seulement variaient grandement en fonction du statut social mais infligeaient également des souffrances souvent prolongées et atroces.

 

Ce concept d'égalité devant la mort incarnait profondément les idéaux de la Révolution — liberté, égalité, fraternité — en les appliquant de manière concrète au dernier moment de la vie humaine. En théorie, la guillotine éliminait les disparités brutales observées lors des exécutions antérieures, où les nobles pouvaient espérer une mort rapide par décapitation tandis que les moins fortunés faisaient face à des méthodes bien plus cruelles. Ainsi, elle était vue non seulement comme un outil de justice mais aussi comme un vecteur d'humanisation de la peine capitale, reflétant une volonté d'adoucir les aspects les plus brutaux des systèmes punitifs de l'époque tout en répondant à une demande de justice plus rapide et infaillible.

Guillotin et Louis : Les concepteurs

Dessin de la guillotine primitive

Dessin de la première guillotine mise en situation.

« Il y a des hommes malheureux. Christophe Colomb ne peut attacher son nom à sa découverte ; Guillotin ne peut détacher le sien de son invention. » Victor Hugo

Joseph-Ignace Guillotin ne fut pas simplement l'inspirateur de la guillotine ; il en devint l'un des plus fervents défenseurs. En tant que médecin et législateur, il a porté cette idée devant l'Assemblée constituante en 1789 avec un zèle d'avocat, plaidant pour une réforme radicale des méthodes d'exécution. Son argumentation reposait sur un principe d'équité absolue : que chaque citoyen, indépendamment de sa classe sociale, méritait une mort rapide et exempte de douleur. Ce faisant, Guillotin ne cherchait pas seulement à humaniser la peine capitale, mais aussi à démocratiser le processus de la justice, en garantissant la même fin à tous les condamnés, une idée révolutionnaire à une époque où la mort pouvait être aussi diversifiée que les rangs sociaux des victimes.

 

La conception technique de la guillotine fut confiée à Antoine Louis, secrétaire perpétuel de l'Académie de Chirurgie, qui s'inspira de dispositifs antérieurs utilisés en Écosse et en Angleterre pour réaliser le prototype. Le résultat de ses efforts fut une machine implacable : un couperet tranchant glissant le long de deux montants verticaux avec une efficacité terrifiante. Cette simplicité mécanique, combinée à son efficacité brutale, marquait une rupture technologique significative par rapport aux pratiques antérieures. La guillotine symbolisait ainsi l'avènement d'une ère nouvelle où même la mort pouvait être administrée de manière industrielle et impersonnelle.

Nicolas Jacques Pelletier : Le Premier Condamné

Le crime de Nicolas Jacques Pelletier

Nicolas Jacques Pelletier était un petit criminel, souvent impliqué dans des vols et des larcins, dans un Paris pré-révolutionnaire où la survie quotidienne pouvait souvent conduire à de petites infractions.

Sa vie bascula définitivement dans la nuit du 14 octobre 1791, lorsqu'il attaqua un passant dans la rue Bourbon-Villeneuve, désormais connue sous le nom de rue d'Aboukir. Armé d'un couteau, Pelletier frappa sa victime à plusieurs reprises, lui dérobant 800 livres en assignats, une somme considérable à l'époque.

Son procès et de la sentence

  1. « Les délits du même genre seront punis par le même genre de peine, quels que soient le rang et l’état [la condition sociale] du coupable. »
  2. « Dans tous les cas où la loi prononcera la peine de mort contre un accusé, le supplice sera le même, quelle que soit la nature du délit dont il se sera rendu coupable ; le coupable sera décapité ; il le sera par l’effet d’un simple mécanisme. »
  3. « Le crime étant personnel, le supplice quelconque d’un coupable n’imprimera aucune flétrissure à sa famille. L’honneur de ceux qui lui appartiennent [la parentèle] ne sera nullement taché, et tous continueront d’être également admissibles à toutes sortes de professions, d’emplois et de dignités. »
  4. « Nul ne pourra reprocher à un citoyen le supplice quelconque d’un de ses parents. Celui qui osera le faire sera publiquement réprimandé par le juge. La sentence qui interviendra sera affichée à la porte du délinquant. De plus, elle sera et demeurera affichée au pilori pendant trois mois. »'
  5. « La confiscation des biens des condamnés ne pourra jamais être prononcée en aucun cas. »
  6. « Le cadavre d’un homme supplicié sera délivré à sa famille, si elle le demande. Dans tous les cas, il sera admis à la sépulture ordinaire, et il ne sera fait sur le registre aucune mention du genre de mort. »

Arrêté peu après son crime, Pelletier fut rapidement jugé en raison de la gravité de son acte et de la preuve accablante de sa culpabilité. Le processus judiciaire fut sommaire, reflet des pratiques de l'époque qui privilégiaient souvent la rapidité sur le détail, surtout pour les affaires jugées de moindre importance sociale.

Le jugement fut prononcé le 24 janvier 1792, condamnant Pelletier à la peine de mort pour vol avec violence, un verdict habituel pour de telles infractions sous l'ancien régime.

La justice a tranché

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Fresque de Luca Giordano représentant la justice 

« 11 avril 1792. Le particulier désigné travaille à la machine de concert avec M. Louis : il la promet pour samedi ; on pourra en faire l’essai ce même jour ou dimanche sur quelques cadavres, et lundi ou mardi les jugements pourront être exécutés. »

La décision d'utiliser la guillotine pour exécuter Pelletier ne fut pas fortuite. En 1792, la Révolution cherchait à réformer radicalement le système judiciaire français, y compris les méthodes d'exécution. La guillotine, nouvellement inventée, offrait une manière de mettre à mort qui était à la fois considérée comme plus humaine et démocratiquement égalitaire.

Pelletier, du fait de son statut de criminel de bas étage, devint ainsi un candidat idéal pour cette première utilisation publique et historique. Le choix de cette machine pour son exécution symbolisait la rupture avec les pratiques antérieures et marquait une nouvelle ère dans l'administration de la justice.

L'exécution de Pelletier le 25 avril 1792

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« Le nouveau mode d’exécution, Monsieur, du supplice de la tête tranchée attirera certainement une foule considérable à la Grève, et il est intéressant de prendre des mesures pour qu’il ne se commette aucune dégradation à la machine. Je crois, en conséquence, nécessaire que vous ordonniez aux gendarmes qui seront présents à l’exécution de rester, après qu’elle aura eu lieu, en nombre suffisant sur la place et dans les issues pour faciliter l’enlèvement de la machine et de l’échafaud. Le procureur syndic, Roederer. » Roederer à M. de Lafayette, commandant général de la garde nationale.

Le 25 avril 1792, une foule curieuse et anxieuse s'était rassemblée sur la Place de Grève, le site traditionnel des exécutions publiques à Paris. Nicolas Jacques Pelletier fut amené, les mains liées, devant la sinistre silhouette de la nouvelle machine à décapiter. La guillotine, avec son couperet luisant et ses montants imposants, attendait. À 15h30, Pelletier fut placé sous la lame. Le mécanisme fut déclenché, et en un instant, le couperet tomba avec une précision mécanique, détachant la tête du corps en un seul coup net et définitif, marquant la première utilisation officielle de la guillotine.

Un public déçu et mécontent

« Le peuple, d’ailleurs, ne fut point satisfait : il n’avait rien vu ; la chose était trop rapide ; il se dispersa désappointé, chantant, pour se consoler de sa déception, un couplet d’à propos : Rendez-moi ma potence de bois, / Rendez-moi ma potence ! » extrait de La Chronique de Paris qui rend compte du mécontentement du public

La rapidité et l'efficacité de l'exécution par la guillotine laissèrent la foule simultanément stupéfaite et quelque peu déçue. Historiquement, les exécutions publiques fonctionnaient non seulement comme un moyen de punition mais aussi comme des événements sociaux chargés d'une dramaturgie poignante, souvent prolongés et viscéralement brutaux. Cette première utilisation de la guillotine, avec sa conclusion rapide et presque clinique, trancha nettement avec les attentes traditionnelles, privant les spectateurs du drame et de la tension qu'ils anticipaient. Les récits de l'époque suggèrent que nombreux étaient ceux dans la foule qui exprimèrent leur mécontentement, se sentant lésés par l'absence du spectacle "traditionnel" auquel ils étaient accoutumés.

Cette réaction reflète la complexité des attitudes populaires envers la justice et la punition durant cette période de profonds bouleversements sociaux. Les exécutions étaient intégrées dans le tissu social non seulement comme des actes de justice, mais aussi comme des moments de catharsis collective où la communauté pouvait affirmer ses normes et valeurs communes face à la transgression. La guillotine, en rendant les exécutions expéditives et dénuées de toute théâtralité, questionna profondément cette tradition, illustrant la tension entre les nouveaux idéaux d'efficacité et d'humanité promus par la Révolution et les instincts plus anciens de spectacle public et de vengeance expiatoire.

Charles-Henri Sanson : le rôle du bourreau

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Charles Henri Sanson, Bourreau de Paris

Charles-Henri Sanson, issu d'une famille de bourreaux établie, était l’héritier d'une profession qui se transmettait de génération en génération. Bourreau officiel de Paris, il recevait un salaire fixe ainsi que des paiements par exécution, et vivait dans une société qui le craignait et le méprisait, tout en reconnaissant sa nécessité. Avant l'arrivée de la guillotine, Sanson utilisait des méthodes d'exécution plus traditionnelles telles que l'épée ou la hache, qui demandaient non seulement une grande force physique mais aussi une certaine habileté pour assurer une mort rapide et « propre ». La transition vers la guillotine marqua un changement significatif dans son métier, passant d'un rôle d'exécuteur de force brute à celui d'un opérateur de machine précis, supervisant une mécanique conçue pour garantir une exécution uniforme et infaillible.

 

Lors de la première utilisation publique de la guillotine, la compétence technique et le sang-froid de Sanson furent mis à l'épreuve. Ce jour-là, son travail consistait non seulement à manœuvrer la machine mais aussi à assurer son fonctionnement optimal, dans un contexte où le moindre échec aurait pu entraîner une agitation publique ou remettre en cause la viabilité de la guillotine comme méthode d'exécution. Son succès durant cet événement déterminant non seulement solidifia la place de la guillotine comme outil d'exécution principal pendant la Révolution, mais transforma également la profession de bourreau en faisant de la précision technique et de l'efficacité les nouvelles normes du métier. Son nom restera gravé dans l’histoire de la France révolutionnaire, Samson ayant été à la fois le bourreau du roi Louis XVI, mais aussi de nombreux révolutionnaires comme Danton, Robespierre, Saint Just ou Desmoulins.

La Place de Grève : Théâtre des Exécutions

Un lieu historique d'exécutions publiques

Nicolas-Jean-Baptiste Raguenet - L'Hôtel de Ville et la place de Grève (actuelle place de l'Hôtel de Ville) - P284 - Musée Carnavalet

La place de Grève (actuelle place de l'Hôtel de Ville) à Paris en 1857

Depuis le Moyen Âge, la Place de Grève, située au cœur de Paris face à l'Hôtel de Ville, a servi de principal théâtre pour les exécutions publiques de la capitale. Son nom, "Grève", fait référence à son origine en tant que place sablonneuse où les gens se rassemblaient, souvent pour chercher du travail.

 

Avec le temps, cette place s'est transformée en un lieu de rassemblement pour les événements publics majeurs, y compris les exécutions. Des pendaisons aux bûchers, la Place de Grève a été témoin de nombreuses méthodes d'exécution, chacune attirant des foules de spectateurs venus de tous horizons pour assister au sombre spectacle de la justice en action.

La guillotine prend place

Execution à la guillotine de 9 émigrés, place de Grève, actuelle place de l'hôtel-de-Ville, 4ème arrondissement. Estampe, G.28622

L'exécution de Nicolas Jacques Pelletier en 1792 marque un tournant dans l'histoire de la Place de Grève. Ce fut la première fois que la guillotine y fut utilisée, introduisant une ère où l'efficacité et la rapidité prévalaient sur les exécutions souvent chaotiques et brutales du passé. La réussite de cette première utilisation a non seulement renforcé la place de la guillotine comme instrument officiel des exécutions pendant la Révolution française, mais a également redéfini la Place de Grève comme un symbole de la nouvelle justice révolutionnaire.

 

Il faudra attendre le XIXe siècle pour que la place de grève devienne la place de de l'Hôtel-de-Ville. À ce moment-là, l’endroit devient un lieu de célébrations civiques et de manifestations, qui feront peu à peu oublier l’histoire de ce site comme lieu d'exécution. Une transformation qui actera le début de la réconciliation de la ville, avec son histoire tumultueuse.

La Guillotine, une longue histoire

La guillotine et la Révolution

Guillotine, Musée de la Révolution française

Estampe explicative avec une double guillotine sous la Révolution

La guillotine, initialement saluée comme un instrument d'exécution rapide et humanitaire, a rapidement été adoptée à grande échelle durant la Révolution française. Son efficacité et sa facilité d'utilisation en faisaient l'outil idéal pour les besoins judiciaires de l'époque, marquée par de nombreuses purges politiques et sociales.

Après la Révolution, la guillotine resta l'instrument standard d'exécution en France, utilisée pour toutes les condamnations à mort jusqu'au milieu du XXe siècle. Cette continuité illustre comment un outil créé pour incarner les valeurs égalitaires de la Révolution s'est intégré de manière permanente dans le système judiciaire français.

La guillotine, un concept clivant

Place de la Révolution exécution capitale

Illustration d'une exécution capitale, place de la Révolution 

La guillotine, en dépit de son intention originale d'égaliser les conditions d'exécution pour tous les citoyens, a suscité des réactions diverses qui reflétaient les clivages sociaux de la France révolutionnaire. Les classes populaires, souvent témoins directs de ces exécutions, avaient une perception ambivalente de la guillotine. D'une part, elle symbolisait la fin des privilèges judiciaires des élites, rendant justice de manière égale pour tous. D'autre part, la rapidité et l'impersonnalité de la machine laissaient un sentiment de spectacle inachevé, ce qui privait la foule de l'aspect cathartique des exécutions traditionnelles.

Les intellectuels et les membres de la bourgeoisie, qui appuyaient idéologiquement les principes révolutionnaires d'égalité, voyaient dans la guillotine une incarnation de la modernité et de la rationalité. Cependant, leur approbation pouvait être tempérée par l'usage massif et souvent arbitraire de la guillotine durant la Terreur, ce qui soulevait des inquiétudes quant à l'abus de pouvoir et la perte de contrôle judiciaire.

La guillotine outil de Terreur

Nicolas-Antoine Taunay - Le triomphe de la guillotine 

Le triomphe de la guillotine, huile sur toile peinte vers 1795 par Nicolas-Antoine Taunay

Durant la période de la Terreur, de 1793 à 1794, la guillotine est devenue un symbole de la répression radicale exercée par les révolutionnaires. Des milliers de personnes, de toutes classes sociales, ont été exécutées, souvent après des procès expéditifs. L'usage intensif de la guillotine durant cette période a profondément marqué la société française, associant l'instrument à la peur et à la violence politique plutôt qu'à la justice. Cette période sombre a vu la guillotine s'élever de simple outil d'exécution à icône de la terreur étatique, où chaque jour pouvait voir tomber des têtes sous des accusations parfois très légères de trahison ou de contre-révolution.

 

Ce contexte a influencé la perception publique de la guillotine, la transformant en un emblème de l'excès révolutionnaire et de la perte de contrôle gouvernemental. Elle est devenue une figure de la démesure et du déraillement du pouvoir judiciaire, où la loi semblait moins guidée par l'équité que par la volonté de purger et de terroriser. Dans les rues de Paris et au-delà, la simple mention de la guillotine suscitait une crainte immédiate, consolidant son image non seulement comme moyen de dissuasion, mais aussi comme outil de domination politique. Cette transformation drastique dans la perception publique a imprimé dans la mémoire collective une association durable de la guillotine avec l'injustice et la brutalité, un héritage qui continue de colorer notre compréhension de cette époque révolutionnaire.

Impact de la guillotine, le cas Victor Hugo

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Victor Hugo photographié par Nadar en 1884

L'impact culturel de la guillotine dépassait largement le cadre des exécutions elles-mêmes pour imprégner la littérature, les arts et le discours politique de l'époque. Des œuvres littéraires de l'époque, comme celles de Victor Hugo, reflètent cette fascination et cette horreur. Victor Hugo est fermement opposé à la peine capitale, une opposition devenue un combat qu’il a mené tout au long de sa vie. Car pendant qu’il est enfant, Victor Hugo est marqué par le spectacle sordide d’un homme que l’on mène à l’échafaud. Profondément affecté par ce qu’il considérait comme un "meurtre judiciaire", il prendra position contre la peine de mort, considérant celle-ci comme un acte de barbarie, un symbole d’injustice, où les vrais coupables sont souvent la misère et l’ignorance, et non les condamnés eux-mêmes.

 

Utilisant sa renommée d’écrivain et son influence politique, il a lutté sans relâche pour influencer l'opinion publique et les législateurs, dans l’espoir de faire évoluer les lois et les mentalités. Dans son œuvre "Le Dernier Jour d’un condamné", Hugo offre une critique incisive de la guillotine à travers le journal intime fictif d’un homme condamné à mort, explorant ses pensées intimes du verdict à son exécution. Toute sa vie il continua  à livrer ce combat, en participant activement à la mise en œuvre de réformes judiciaires pour remplacer la peine de mort par des peines moins inhumaines, en insistant toujours sur la nécessité d'une justice plus éclairée et plus humaine, capable de reconnaître et de traiter les causes sous-jacentes de la criminalité plutôt que de se venger.

L’abolition de la peine de mort, la fin de la guillotine

Abolition de la peine de mort

François Mitterrand qui guillotine la guillotine en abolissant la peine de mort (Dessin de Calvi)

La dernière utilisation de la guillotine en France a eu lieu en 1977, et l'instrument ainsi que la peine de mort ont été définitivement abolis en 1981 sous la présidence de François Mitterrand. L'abolition de la guillotine a marqué la fin d'une époque et reflété un changement profond dans les attitudes sociétales envers la justice et les droits humains.

 

En regardant en arrière, la guillotine demeure un objet de réflexion profonde sur la moralité de la peine capitale et sur les dangers inhérents à un État disposant du pouvoir absolu de vie et de mort sur ses citoyens. Son héritage est complexe, servant à la fois de rappel des idéaux de justice et d'égalité, et de sombre souvenir des périodes de grande turbulence politique.

L'Héritage de la Guillotine dans la Justice Moderne

Une autre perception de la justice

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La guillotine, plus qu'une simple machine, a révolutionné la perception de la justice et de la punition dans la société. En introduisant une méthode d'exécution qui promettait rapidité et égalité devant la mort, elle a symbolisé les aspirations à une justice plus impersonnelle et uniforme. Toutefois, avec le temps, elle est aussi devenue un symbole des horreurs associées à la justice expéditive. Cette dualité reflète une tension fondamentale dans la conception de la justice : l'équilibre entre l'efficacité et l'humanité, entre la punition et les droits de l'individu.

Enfin, la première exécution par guillotine de Nicolas Jacques Pelletier ne fut pas simplement un moment clé de l'histoire judiciaire ; elle a également posé les jalons d'un débat qui perdure jusqu'à aujourd'hui sur les limites de la justice administrée par l'État. Alors que nous continuons à débattre de l'utilisation de la technologie dans l'application de la loi et de la peine de mort, l'exemple de la guillotine sert à la fois de mise en garde et de guide. Ce débat sur la manière dont la justice est rendue, qui reste au cœur des discussions sur les droits de l'homme et l'éthique, est peut-être l'héritage le plus important de la guillotine. Il nous rappelle que, dans la poursuite de la justice, nous devons toujours peser nos actes avec compassion et prudence, veillant à ne pas répéter les erreurs du passé tout en cherchant à bâtir un système plus juste pour l'avenir.


Poème de Victor Hugo

 

L’échafaud 

C’était fini. Splendide, étincelant, superbe,
Luisant sur la cité comme la faulx sur l’herbe,
Large acier dont le jour faisait une clarté,
Ayant je ne sais quoi dans sa tranquillité
De l’éblouissement du triangle mystique,
Pareil à la lueur au fond d’un temple antique,
Le fatal couperet relevé triomphait.
Il n’avait rien gardé de ce qu’il avait fait
Qu’une petite tache imperceptible et rouge.

Le bourreau s’en était retourné dans son bouge ;
Et la peine de mort, remmenant ses valets,
Juges, prêtres, était rentrée en son palais,
Avec son tombereau terrible dont la roue,
Silencieuse, laisse un sillon dans la boue,
Qui se remplit de sang sitôt qu’elle a passé.

La foule disait : bien ! car l’homme est insensé,
Et ceux qui suivent tout, et dont c’est la manière,
Suivent même ce char et même cette ornière.

J’étais là. Je pensais. Le couchant empourprait
Le grave hôtel de ville aux luttes toujours prêt,
Entre Hier qu’il médite et Demain dont il rêve.
L’échafaud achevait, resté seul sur la Grève,
La journée, en voyant expirer le soleil.

Le crépuscule vint, aux fantômes pareil.
Et j’étais toujours là, je regardais la hache,
La nuit, la ville immense et la petite tache.

À mesure qu’au fond du firmament obscur
L’obscurité croissait comme un effrayant mur,
L’échafaud, bloc hideux de charpentes funèbres,
S’emplissait de noirceur et devenait ténèbres ;
Les horloges sonnaient, non l’heure, mais le glas ;
Et toujours, sur l’acier, quoique le coutelas
Ne fût plus qu’une forme épouvantable et sombre,
La rougeur de la tache apparaissait dans l’ombre.

Un astre, le premier qu’on aperçoit le soir,
Pendant que je songeais montait dans le ciel noir.

Sa lumière rendait l’échafaud plus difforme.
L’astre se répétait dans le triangle énorme ;
Il y jetait ainsi qu’en un lac son reflet,
Lueur mystérieuse et sacrée ; il semblait
Que sur la hache horrible, aux meurtres coutumière,
L’astre laissait tomber sa larme de lumière.
Son rayon, comme un dard qui heurte et rebondit,
Frappait le fer d’un choc lumineux ; on eût dit
Qu’on voyait rejaillir l’étoile de la hache.
Comme un charbon tombant qui d’un feu se détache,
Il se répercutait dans ce miroir d’effroi ;
Sur la justice humaine et sur l’humaine loi,
De l’éternité calme auguste éclaboussure.
— Est-ce au ciel que ce fer a fait une blessure ?
Pensai-je. Sur qui donc frappe l’homme hagard ?
Quel est donc ton mystère, ô glaive ? — Et mon regard
Errait, ne voyant plus rien qu’à travers un voile,
De la goutte de sang à la goutte d’étoile.