Les cabanes tchanquées : les sentinelles du bassin d'Arcachon
MRVM+Q6 La Teste-de-Buch Gironde
Symbole du bassin d’Arcachon, les cabanes tchanquées veillent depuis plus d’un siècle sur les eaux mouvantes de l’île aux Oiseaux. Construites sur pilotis, elles racontent l’histoire ostréicole du territoire, la résilience face aux tempêtes, et un art de vivre simple, entre nature et transmission.
L'HISTOIRE EN BREF
Naissance d’un emblème, entre huîtres et échasses
Vers 1900, Cabane de parqueurs d’huîtres montée sur pilotis, sur l’Île aux Oiseaux dans le Bassin d'Arcachon.
En gascon, tchanquées signifie « montées sur des échasses » — une allusion directe à ces cabanes perchées sur pilotis, semblables aux bergers landais. Dans le bassin d’Arcachon, elles s’élèvent au-dessus des marées comme deux vigies solitaires, sur l’île aux Oiseaux. L’histoire débute en 1883, quand Martin Pivert, ostréiculteur gujanais, obtient une concession sur le domaine public maritime pour construire une cabane de surveillance à l’est de l’île, sur un banc de sable nommé Sourdouille.
Ce choix intervient après la tempête dévastatrice de 1882, qui submerge l’île et rappelle la nécessité d’installations adaptées aux éléments. Installée sur des pilotis de bois, la cabane permet de garder les parcs à huîtres de jour comme de nuit, à marée haute comme à marée basse. Mais le bois est vulnérable : rongée par les vers marins et sapée par les tempêtes successives, la cabane s'effondre en 1943. Aujourd’hui encore, ses piliers affleurent à marée basse, comme des fantômes d’un passé ostréicole.
Deux cabanes, deux histoires familiales
Les cabanes Tchanquées à marée basse en 2003.
Au sortir de la guerre, deux cabanes viennent relayer la mémoire de celle de Pivert, devenant les icônes que l’on connaît. En 1945, René Landry, charpentier-menuisier d’origine suisse, obtient une autorisation pour édifier une cabane de plaisance à une quarantaine de mètres des ruines. Il la construit avec son gendre, Claude Bardou. Cette cabane aux volets rouges, appelée cabane n°3 — ou n°51 selon les archives, qui reprennent le numéro de concession, devient un lieu de villégiature familial. Le petit-fils de Landry, Laurent Bardou, raconte les petits-déjeuners sur la galerie face au vent, les cueillettes dans les esteys, les ravitaillements en glace depuis Arcachon. Ces récits donnent vie à une cabane à la fois rustique et chaleureuse, témoin d’un autre temps.
En 1948, Julien Longau, entrepreneur et maire-adjoint aux travaux de La Teste-de-Buch, construit à son tour une cabane sur pilotis, exactement à l’emplacement de la première cabane de 1883. Il s'agit de la cabane n°53 aux volets blancs, dont la construction ne s’achèvera qu’en 1954. Construite en famille avec l’aide de ses fils et contremaîtres, la cabane est dépourvue de confort moderne : pas d’eau courante, éclairage au gaz, récupération d’eau de pluie dans des fûts de 800 litres. Transmise à sa sœur Paulette, la cabane reste familiale jusqu’en 2000, avant d’être confiée à l’État, puis au Conservatoire du littoral.
Préserver le fragile et raconter le vivant
Une des deux cabanes du bassin d'Arcachon. Cette cabane appartient à la commune de la Teste, l'autre est privée.
À l’orée des années 2000, la cabane 53 est déclarée en péril. Une reconstruction à l’identique est engagée en 2007, sous la direction des architectes Jean Dubrous et Jean-Jacques Soulas. Le chantier mobilise près de 600 000 €. Les pilotis en béton sont remplacés par du bois d’azobé, résistant à l’eau salée. L'inauguration officielle, après aménagement à des fins de valorisation patrimoniale, a lieu en 2018.
La cabane de Landry, de son côté, a poursuivi son existence jusqu’en 2023, avant d’être jugée trop endommagée. Elle fait aujourd’hui, à son tour, l’objet d’une reconstruction respectueuse, à l’aide de bois locaux provenant de la forêt usagère de La Teste-de-Buch, victime d’un incendie en 2022. Ces reconstructions montrent combien les cabanes ne sont pas figées dans le passé : elles sont rejouées, transmises, adaptées, sans rien perdre de leur force évocatrice. Suspendues entre terre et mer, elles racontent un lien ancien, toujours vivant, entre les habitants et leur territoire.
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Photo de couverture : Auteur : Karine Deydier source : wikipedia
GLOSSAIRE
Domaine public maritime (DPM)
Zone littorale appartenant à l’État, sur laquelle toute construction nécessite une concession temporaire.
Concession
Autorisation accordée pour une durée limitée (7 ans en général) permettant d’exploiter ou d’occuper un bien du domaine public, comme les cabanes tchanquées.
Ostréiculture
Élevage des huîtres. Activité historique majeure dans le bassin d’Arcachon, ayant motivé la construction des cabanes.
Pinasse
Bateau traditionnel du bassin d’Arcachon, utilisé autrefois pour la pêche et l’ostréiculture, aujourd’hui pour les excursions touristiques.
Azobé
Bois exotique extrêmement résistant à l’eau salée, utilisé pour reconstruire les pilotis modernes des cabanes.
Conservatoire du littoral
Organisme public chargé de la protection du littoral français, gestionnaire de l’île aux Oiseaux depuis 2005.
Galerie
Balcon ou coursive extérieure en bois, entourant les cabanes tchanquées et permettant une vue circulaire sur le bassin.
Estey
Petit chenal naturel dans les marais ou les zones humides, où l’on pêche les palourdes et anguilles.