
Alsace 1525, la Révolte des paysans
5 Pl. Saint-Cyriac Altorf
Au printemps 1525, la guerre des Paysans embrase l’Alsace et la Lorraine. Servage, dîmes, corvées : les campagnes se soulèvent contre l’ordre féodal. De l’abbaye d’Altorf à la prise de Saverne, les insurgés gagnent du terrain. Mais en quelques jours, à Lupstein, Scherwiller et ailleurs, l’espoir d’un monde plus juste est noyé dans le sang.
L'HISTOIRE EN BREF
Aux racines de la colère paysanne
Un paysan agitant un drapeau portant la mention Frÿheit (« Liberté ») (1525).
En ce printemps 1525, un texte se propage de ferme en ferme à travers le sud du Saint-Empire : les XII articles, proclamés à Memmingen, exigent l’abolition du servage, le libre choix des pasteurs, la fin des corvées abusives et le retour des terres communales spoliées. À la fois charte religieuse et manifeste social — une seule revendication sur douze concerne la foi — ce document devient le socle idéologique d’un soulèvement qui gagne l’Alsace à grande vitesse. L’onde de choc touche aussi le Westrich lorrain, où les campagnes n’ont jamais cessé de grogner sous le poids des corvées et des droits seigneuriaux.
Tout commence à Altorf, non loin de Molsheim. Le 10 avril, des paysans envahissent l’abbaye, s’emparent des lieux et élisent comme chef un artisan tanneur local, Érasme Gerber, bientôt rejoint par des bandes de Neubourg, Ebersmunster, Stephansfeld ou Honcourt. Ce n’est pas une jacquerie désordonnée comme celles du passé : on rédige des manifestes comme celui qui proclame que « tout homme, qu’il soit seigneur ou valet, est égal devant Dieu », on élit des capitaines, on convoque une assemblée générale à Molsheim. Les mots d’ordre sont simples mais radicaux : foi, égalité, fin de l’arbitraire seigneurial. Pour la première fois, des paysans réclament un ordre nouveau, fondé sur le travail, la communauté et l’Évangile.
La révolte s’installe, puis vacille dans le sang
Gravure de « La bataille contre les Rustauds à Saverne »
Le 13 mai, Saverne — capitale épiscopale — ouvre ses portes aux insurgés sans combattre. Soutenue par une population acquise à leur cause, la confédération paysanne entre dans la ville en triomphe. Gerber y prend la tête d’un pouvoir éphémère. Les curés compromis sont déposés par le peuple, les greniers ouverts aux pauvres. Des affiches appellent à éviter les pillages. Pendant quelques jours, une Alsace paysanne et égalitaire semble à portée de main. Même à Strasbourg, les autorités hésitent : l’ampleur du mouvement paralyse toute réaction.
Portrait du duc Antoine le Bon de Lorraine (1489 - 1544)
Mais dans l’ombre, le duc Antoine de Lorraine marche à grands pas. À Nancy, il lève une armée féodale renforcée par des contingents français, espagnols et italiens. Douze mille hommes bien entraînés et armés avancent sous la bannière du catholicisme. Le 16 mai, à Lupstein, les troupes ducales taillent en pièces plusieurs milliers de paysans. Le 17 mai, à Saverne, les insurgés se rendent, croyant négocier. Mais une insulte, un geste — nul ne sait plus lequel — déclenche un massacre incontrôlable. Les lansquenets et les cavaliers tuent sans distinction. La ville est livrée à la violence des armes. Érasme Gerber est capturé et pendu le soir même, aux côtés de Peter Hall, capitaine du Westrich. Leurs corps furent exposés à l’entrée de la ville.
Le silence des vaincus
Gravure d'une ville assiégée pendant la guerre des paysans.
Le 20 mai, une dernière armée paysanne, rejointe par des renforts venus du Sundgau et du Palatinat, tente de se regrouper près de Scherwiller. Ils sont entre quinze et vingt mille, mais mal armés. La bataille tourne au carnage : quatre mille insurgés sont tués. Le mouvement est brisé. Dans les semaines suivantes, les survivants sont traqués, emprisonnés, exécutés. Des villages entiers sont privés de leurs droits, les amendes sont écrasantes, les veuves et orphelins exclus des successions. À Herbitzheim, dans l’ancienne abbaye transformée en quartier général rebelle, tout est rasé. Le calme revient, sous la peur.
L’histoire officielle, celle de Nicolas Volcyr de Serrouville, secrétaire du duc Antoine, ne retient qu’une croisade contre des « séduits et abusés luthériens ». Le mot “rustauds” s’impose, synonyme de brutes. Mais dans les campagnes, la mémoire résiste. Des chansons populaires circulent : en Moselle, le chant “O, ich armer Lothringer Bur” (“Ô moi, pauvre paysan lorrain”) dit encore la détresse d’un monde écrasé. En Alsace, des Bauernmoritaten (complaintes paysannes) évoquent les pendus, les pillés, les trahis. Il n’existe à ce jour aucun mémorial à Saverne, à Lupstein, ni à Scherwiller. Il ne reste que le silence, pesant comme une tombe, sur des collines qui taisent encore ce qu’elles ont vu.
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GLOSSAIRE
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XII articles : texte fondateur du soulèvement paysan, proclamé à Memmingen (mars 1525), réclamant la fin du servage, l’allègement des corvées et une justice plus équitable.
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Servage : condition d’assujettissement héréditaire d’un paysan à un seigneur, impliquant des obligations de travail et de redevances.
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Corvées : travaux forcés imposés aux paysans par les seigneurs, sans rémunération.
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Dîme : impôt religieux (souvent un dixième des récoltes) prélevé par l’Église.
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Bundschuh : mouvement de révoltes paysannes antérieures au XVIe siècle, dont la guerre de 1525 reprend les revendications et le symbole (le soulier à lacets).
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Érasme Gerber : tanneur de Molsheim, chef des bandes paysannes d’Alsace, pendu après la chute de Saverne.
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Peter Hall : capitaine de la bande paysanne du Westrich, exécuté aux côtés de Gerber.
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Saverne : ville épiscopale prise par les insurgés le 13 mai 1525, puis théâtre d’un massacre le 17 mai lors de sa reconquête par les troupes ducales.
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Altorf : point de départ de la révolte en Alsace ; abbaye prise d’assaut et lieu d’élection de Gerber comme chef.
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Westrich : région de l’actuel nord-est de la Lorraine, fortement touchée par le soulèvement.
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Herbitzheim : abbaye transformée en camp retranché par les paysans du Westrich.
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Lupstein : lieu du premier grand massacre d’insurgés (16 mai 1525).
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Scherwiller : dernière grande bataille des paysans alsaciens, le 20 mai 1525.
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Duc Antoine de Lorraine : principal commanditaire de la répression militaire, meneur d’une armée féodale appuyée par des troupes étrangères.
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Lansquenets : soldats mercenaires allemands, engagés dans l’armée ducale, impliqués dans les massacres.
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Nicolas Volcyr de Serrouville : secrétaire et chroniqueur du duc Antoine, auteur d’un récit officiel glorifiant la répression des paysans.
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Rustauds : surnom donné aux insurgés paysans, à l’origine neutre mais devenu péjoratif, synonyme de paysans frustes et violents.
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Bauernmoritat : complainte paysanne germanique, souvent chantée ou récitée, qui raconte les révoltes et les violences subies.
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O, ich armer Lothringer Bur : chanson populaire mosellane exprimant la douleur d’un paysan lorrain, devenue un symbole mémoriel du soulèvement.
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