
La libération de la poche de Royan : 5 jours pour briser la forteresse allemande
6 All. des Rochers Royan
Cinq jours d’assaut pour reprendre une ville-forteresse allemande. Une victoire française marquée autant par la victoire que par la ruine, la controverse… et l’oubli.
Du 13 au 18 avril 1945, alors que l’Europe s’apprête à fêter la paix, l’armée française lance une offensive brutale sur Royan, bastion allemand retranché sur l’Atlantique. En cinq jours, la poche est prise, la ville écrasée. Mais à quel prix humain et politique ?
L'HISTOIRE EN BREF
Une forteresse à neutraliser
21 mars 1944, Mur de l'Atlantique : Un soldat allemand monte la garde sur une section de plage, entourée de pièges et de barbelés (« cavaliers espagnols »)
Depuis 1940, Royan et la pointe de Grave, postées de part et d'autre de l'estuaire de la Gironde, sont verrouillées par l'armée allemande. Objectif : empêcher les Alliés d'accéder au port de Bordeaux. En 1944, alors que la France est en grande partie libérée, Royan devient une des dernières poches de résistance allemande en France, avec Lorient, Saint-Nazaire, La Rochelle. Entre 5 500 et 8 600 soldats y tiennent bon, entassés derrière 200 blockhaus, 300 canons et plus de 180 000 mines.
Royan a été transformée en bastion : plages hérissées de chevaux de frise, dunes truffées d'obstacles, forêts minées. Tout est prêt pour résister jusqu’au bout. Les batteries lourdes installées à la pointe de la Coubre et au Verdon-sur-Mer peuvent tirer jusqu'à 30 km. L'état-major allemand, dirigé par le contre-amiral Hans Michahelles, siège à l'hôtel du Golf de Pontaillac. Pour Charles de Gaulle, il est impensable de laisser ces poches à l'ennemi : il ordonne leur reprise par les armes, contre l'avis de certains officiers alliés.
Le feu et la controverse
Royan après les bombardements.
Le 5 janvier 1945, Royan subit un premier bombardement aérien dévastateur mené par la RAF. Près de 2 000 tonnes de bombes s'abattent sur la ville, tuant près de 500 civils. La ville est détruite à 80 %. Mais les fortifications allemandes tiennent toujours. Le bilan est tragique et inutile, selon Leclerc, qui qualifie l’opération de « mascarade ». L’attaque est jugée inefficace militairement, et catastrophique pour les populations civiles. Mais De Gaulle persiste. Cette fois, les Français mèneront l’assaut, épaulés par les Alliés, mais sous commandement national. L'opération « Vénérable » est lancée du 13 au 18 avril.
Au matin du 13 avril, les communications ennemies sont sabotées par la Résistance. L'ordre d'assaut est donné : 25 000 soldats français, tirailleurs nord-africains, spahis marocains, zouaves, 2e DB, FFI, s'élancent, appuyés par les bombardiers B-17 de l'US Air Force et l'artillerie marine. La forêt de la Coubre s'embrase, Royan est de nouveau pilonnée, les combats s'engagent au sol, maison par maison. Le 4e régiment de zouaves entre dans Saint-Georges-de-Didonne sous un orage de feu. Ce moment cristallise l'intensité des combats. Les mines explosent, les bunkers résistent, mais la progression est constante. La presqu'île d'Arvert, truffée de fortifications, est reprise mètre par mètre. Le 17 avril, à l'aube, la forteresse cède. L'amiral Michahelles capitule. Trois jours plus tard, la Pointe de Grave se rend à son tour.
« Le moment est venu de faire sauter la forteresse ennemie Royan-Grave... Le succès ne dépend plus que de l’audace des chefs et de la valeur des soldats. »
— Ordre du général de Larminat, 13 avril 1945
Une victoire amère
Le fort de Royan subit la pire attaque au napalm le 15 avril 1945. Sur cette photo, une dizaine de bombes tombent sur la cible.
La bataille de Royan coûte la vie à plus de 360 soldats français, dont de nombreux tirailleurs. Côté allemand : 1 000 morts, 800 blessés, 8 000 prisonniers. Près de 500 civils sont morts dans les bombardements, dont certains brûlés vifs sous les bombes incendiaires au napalm, larguées par l’aviation américaine — une première sur le sol français. Une arme terrifiante, testée ici à l’aube de la paix. À Rétaud, une nécropole aligne 129 tombes musulmanes. Un rappel silencieux de l’engagement des soldats coloniaux dans cette bataille oubliée.
Le débat demeure. L'historien Howard Zinn, témoin des bombardements, parle d'un « crime inutile ». Leclerc, quant à lui, regrette qu'on ait préféré « s'embourber dans les parcs à huîtres de Marennes » plutôt que d'engager ses troupes dans les combats décisifs d'Allemagne. Pourtant, pour De Gaulle, cette victoire est essentielle : reprendre Royan, c'était replanter le drapeau français par les armes, et non par la négociation. Une manière d'affirmer, à la veille de la paix, que la France est debout, souveraine, et combative jusqu'au bout. Aujourd’hui, Royan est une ville reconstruite. Mais son sol porte encore les traces d’une bataille que l’histoire a voulu taire — peut-être parce qu’elle dit trop sur la guerre, et sur la paix.
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GLOSSAIRE
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Poche (de résistance) : zone encore tenue par les troupes allemandes après la libération du reste du territoire français. Royan en faisait partie, comme Lorient ou Saint-Nazaire.
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Royan : ville portuaire de Charente-Maritime, fortement fortifiée par les Allemands durant l’Occupation, et quasiment détruite lors de sa libération en 1945.
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Estuaire de la Gironde : embouchure de la Gironde entre Royan et la pointe de Grave, zone stratégique pour le contrôle naval de Bordeaux.
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Blockhaus : fortification en béton armé utilisée par l’armée allemande, souvent équipée de canons ou de mitrailleuses.
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Chevaux de frise : obstacles défensifs en métal ou en bois, hérissés de pointes, destinés à bloquer l’avancée de l’ennemi.
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Napalm : mélange inflammable utilisé dans des bombes incendiaires. Employé pour la première fois en France lors des bombardements de Royan.
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Contre-amiral Hans Michahelles : officier allemand commandant les forces de la poche de Royan, qui capitule le 17 avril 1945.
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2e DB : 2e division blindée française du général Leclerc, célèbre pour sa participation à la Libération.
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Tirailleurs nord-africains : soldats d’origine maghrébine enrôlés dans l’armée française, souvent issus des colonies (Algérie, Maroc, Tunisie).
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Spahis : unités de cavalerie légère d’Afrique du Nord intégrées à l’armée française, souvent motorisées à la fin de la guerre.
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Zouaves : soldats de l’infanterie légère d’Afrique du Nord, très engagés dans les combats de la Seconde Guerre mondiale.
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Forêt de la Coubre : zone boisée au nord de Royan, théâtre d’intenses combats pendant l’offensive d’avril 1945.
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Opération Vénérable : nom de code de l’offensive finale française menée sur Royan du 13 au 18 avril 1945.
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Howard Zinn : historien américain, alors jeune aviateur, témoin des bombardements de Royan, qu’il qualifiera plus tard de « crime inutile ».
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Général de Larminat : commandant français de l’opération Vénérable, partisan d’une attaque résolue contre la poche allemande.
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Marennes : région ostréicole proche de Royan. La citation de Leclerc évoque une critique ironique du choix stratégique de l’opération.
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Nécropole de Rétaud : cimetière militaire en Charente-Maritime où sont enterrés de nombreux soldats coloniaux tombés à Royan.
POUR SE REPÉRER
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