
La bataille oubliée du Pré-de-la-Bataille : quand Guillaume sauva la Normandie
Rue du Pré de la Bataille Rouen Seine-Maritime
Vers 935, aux portes de Rouen, le jeune duc Guillaume Longue-Épée affronte une dangereuse coalition menée par le chef viking Rioulf. Cette bataille, souvent ignorée des manuels scolaires, scelle pourtant le sort de la jeune Normandie.
L'HISTOIRE EN BREF
Un duché menacé, une révolte venue de l’Ouest
À la mort de Rollon vers 927, son fils Guillaume Longue-Épée hérite d’un territoire instable. La Normandie est alors un patchwork de chefferies vikings et de seigneuries franques, souvent méfiantes les unes envers les autres. L'autorité de Guillaume est d’autant plus fragile qu’il doit composer avec une noblesse issue des traditions guerrières scandinaves, peu encline à se soumettre. Dans les régions les plus périphériques, comme le Cotentin ou l’Avranchin, plusieurs chefs refusent la centralisation du pouvoir autour de Rouen, considérant Guillaume comme un rival plus que comme un suzerain légitime.
Statue de Guillaume Ier, fils de Rollon, dit "longue épée".
Parmi eux, un certain Rioulf, probablement d’origine scandinave et installé dans l’Ouest normand, rejette l’autorité du jeune duc. Il parvient à rallier plusieurs seigneurs frondeurs, formant une coalition assez puissante pour marcher sur Rouen, capitale du duché. Selon les chroniqueurs médiévaux, les révoltés étaient extrêmement nombreux. Certains évoquent même le nombre de 40 000 hommes contre seulement 300 fidèles à Guillaume — sans doute une exagération, mais elle témoigne de l’ampleur du danger perçu à l’époque et du caractère exceptionnel de cette révolte. La menace est claire : le cœur du pouvoir normand est en jeu. Si Rouen tombe, la construction du duché vacille. Guillaume n’a d’autre choix que de répondre par les armes.
La bataille du Pré-de-la-Bataille
Guillaume Longue-Épée affronte Riulf sur le futur lieu-dit Pré de la Bataille. (gravure de 1866)
L’affrontement se joue dans une plaine à l’ouest de Rouen, là où se trouve aujourd’hui la rue du Pré-de-la-Bataille. Vers 935 ou 936, c’est là que les deux camps se préparent à l’affrontement. Guillaume, jeune chef résolu, harangue ses troupes avant de se jeter dans la mêlée. Certaines chroniques évoquent la peur panique des Rouennais, prêts à fuir la ville en croyant la défaite imminente. Selon certains récits, les hommes de Rioulf auraient été aperçus s'approchant par le vieux chemin du Cotentin, tandis que les troupes de Guillaume s’étaient postées stratégiquement en contrebas d’un coteau boisé, dissimulées jusqu’au dernier moment. L’effet de surprise et la connaissance du terrain auraient alors joué un rôle crucial dans le retournement du combat.
Le combat est bref mais féroce. Lances et haches s’entrechoquent. Le fracas des armes couvre les cris des mourants. Les sources ne précisent pas par où Rioulf et ses hommes sont arrivés, mais tout porte à croire qu’ils ont approché Rouen depuis l’ouest, en suivant les axes fluviaux ou les voies anciennes reliant le Cotentin à la vallée de la Seine. Les troupes de Guillaume, averties à temps, se déploient pour intercepter les révoltés dans la plaine qui précède les murailles. La confrontation est acharnée. Malgré leur infériorité numérique, les fidèles de Guillaume tiennent bon et finissent par l’emporter. Les chroniques rapportent que Rioulf aurait trouvé la mort lors de cette bataille, mais aucune source fiable ne permet de le confirmer avec certitude. Toujours est-il que son château est confié à Anslech de Bricquebec, un des fidèles de Guillaume, marquant une reprise en main du territoire.
Une victoire fondatrice pour la Normandie
Drapeau de la Normandie.
La portée de cette victoire dépasse largement le champ de bataille. Elle permet à Guillaume de consolider son autorité sur l’ensemble de la Normandie. En éliminant la menace venue de l’Ouest, il impose l’idée d’un duché unifié, dirigé depuis Rouen, capable de résister aux divisions internes comme aux ambitions extérieures. Guillaume n’est plus seulement l’héritier de Rollon : il devient l’artisan d’un véritable pouvoir ducal, posé sur des bases solides. Ce moment marque l’entrée effective de la Normandie dans l’histoire politique du royaume des Francs, prémices de la puissance qu’atteindra le duché au siècle suivant.
Ironie de l’histoire, cette bataille cruciale, qui aurait pu voir s’effondrer la Normandie, est aujourd’hui presque oubliée. Pourtant, chaque fois que l’on traverse la rue du Pré-de-la-Bataille à Rouen, c’est ce jour décisif que l’on foule sans le savoir. Un rappel que l’histoire, parfois, se cache sous nos pas.
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GLOSSAIRE
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Guillaume Longue-Épée : Fils de Rollon, il devient le deuxième dirigeant de la Normandie vers 927. Il consolide le pouvoir ducal et joue un rôle fondamental dans l’unification du territoire normand.
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Rollon : Chef viking à l’origine de l’installation des Normands en Neustrie. Il fonde le duché de Normandie après le traité de Saint-Clair-sur-Epte en 911.
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Rioulf : Chef scandinave révolté, probablement établi dans le Cotentin. Il mène une coalition contre Guillaume Longue-Épée et disparaît des sources après sa défaite.
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Normandie : Région du nord-ouest de la France, créée à la suite d’un accord entre le roi des Francs et les Vikings installés en Neustrie. Le duché s’étend peu à peu sous l’autorité de Rouen.
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Rouen : Capitale du duché de Normandie, siège du pouvoir de Guillaume. Elle est la cible principale de l’attaque menée par Rioulf.
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Pré-de-la-Bataille : Plaine située à l’ouest de Rouen, lieu traditionnellement associé à la bataille entre Guillaume et Rioulf. Aujourd’hui une rue portant ce nom perpétue le souvenir du combat.
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Cotentin : Péninsule située à l’ouest de la Normandie, d’où seraient issus une partie des soutiens de Rioulf.
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Avranchin : Région située autour d’Avranches, à l’extrême sud-ouest de la Normandie, également peu favorable à l’autorité de Guillaume.
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Coalition : Alliance temporaire de seigneurs opposés à Guillaume. Celle de Rioulf regroupe probablement des Vikings installés et des nobles francs hostiles à la centralisation du pouvoir.
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Chefferies vikings : Petites entités territoriales dirigées par des chefs d’origine scandinave, installés en Normandie après les premières vagues d’invasions.
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Seigneuries franques : Territoires contrôlés par des nobles d’origine franque, souvent en compétition avec les chefs vikings pour le contrôle local.
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Duché : Forme d’organisation politique et territoriale dirigée par un duc. La Normandie devient un duché autonome sous l’autorité des descendants de Rollon.
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Anslech de Bricquebec : Fidèle de Guillaume Longue-Épée, récompensé pour son soutien par la remise du château de Rioulf après la bataille.
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Royaume des Francs : Ensemble politique dirigé par les rois carolingiens puis capétiens. La Normandie reste officiellement un territoire vassal de ce royaume, bien qu’autonome.
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