
Marseille 1962 – L’exode des rapatriés d’Algérie
Cor Président John Fitzgerald Kennedy Marseille Bouches-du-Rhône
L’été 1962, près d’un million de Français d’Algérie fuient la violence de l’indépendance. Marseille devient alors le port d’une détresse collective. Non loin des rives où ils accostaient, une sculpture imposante veille aujourd’hui sur la Méditerranée : l’Hélice de César. Elle ne dit pas exactement où ils ont débarqué. Mais elle dit pourquoi ils sont partis.
L'HISTOIRE EN BREF
L'Algérie française, la fin d'un monde
L'Eugène Péreire parti de Marseille, arrive à Alger en 1899 pour y débarquer des colons français.
Le 18 mars 1962, les accords d’Évian mettent officiellement fin à la guerre d’Algérie. Après plus de sept années de conflit sanglant, la France reconnaît l’indépendance de ce territoire qu’elle colonisait depuis 1830. Le 5 juillet, l’Algérie devient indépendante. Pour près d’un million de Français d’Algérie – pieds-noirs, fonctionnaires, agriculteurs, commerçants – le sol natal devient un territoire étranger, souvent perçu comme menaçant. L’espoir de la cohabitation s’effondre.
Rapatriés français (Pieds Noirs) quittant l'Algérie à Alger, le 27 mai 1962.
Dans les semaines qui suivent, les violences se multiplient. Pillages, disparitions, assassinats : en avril 1963, les autorités françaises recenseront plus de 3 000 personnes enlevées, dont la majorité restera introuvable. La panique est générale. Des familles fuient dans la précipitation, abandonnant maisons, commerces, meubles. L’exode est brutal, sans plan, sans retour. Un monde s’effondre, dans la précipitation d’un départ définitif.
L’arrivée à Marseille : un accueil sous haute tension
Marseille, mai 1962. Arrivée de civils et de militaires français d'Algérie à bord du navire Ville de Marseille.
Durant l’été 1962, Marseille devient le principal point d’entrée des Français d’Algérie. Chaque jour, les quais de la Joliette accueillent des navires chargés à bloc. Le 20 juillet, le paquebot Ville de Tunis débarque 1 800 passagers, bien au-delà de sa capacité habituelle. Sur le pont, les familles s’entassent avec valises, filets, couvertures, parfois une chaise longue repliée. Une photographie emblématique montre une femme qui se recoiffe, comme pour garder contenance. Elle attend, au milieu de ses bagages, qu’un semblant d’avenir s’organise.
Des « Pieds-Noirs » rapatrié d'Algérie arrivent à Marseille, en France, à bord du navire Ville de Tunis, le 20 juillet 1962.
À la gare maritime, l’attente est interminable. Des files d’hommes s’allongent devant les guichets de l’administration, pendant que femmes et enfants patientent dans la chaleur. Le déracinement devient procédure. À peine débarqués, les rapatriés doivent prouver leur identité, leur légitimité, leur besoin d’aide. Le secrétariat d’État aux Rapatriés ouvre pour chacun un dossier nominatif, clé d’accès à des allocations, à un toit, à un nouveau départ encadré. En parallèle, les contrôles douaniers visent à repérer d’éventuels membres de l’OAS.
Mais l’accueil est tendu. Le maire de Marseille, Gaston Defferre, redoute un afflux incontrôlé et demande que les rapatriés soient redirigés ailleurs. « Qu’ils aillent se réadapter ailleurs », déclare-t-il en juillet 1962. Cette phrase, reprise à la une du Méridional, blesse durablement une communauté qui espérait retrouver la France comme un refuge. Les capacités d’hébergement explosent. Des écoles sont transformées en foyers temporaires. Les frictions se multiplient avec les Marseillais, eux-mêmes souvent modestes, qui voient les loyers monter et les hôtels bondés. Souvent perçus comme des "Français d’ailleurs", les rapatriés découvrent qu’en métropole, leur citoyenneté n’efface ni l’accent, ni le passé colonial.
Faire vivre la mémoire dans une France silencieuse
Vingt familles de rapatriés d'Algérie occupent l'ancien bordel « Le Sphinx », boulevard Edgar Quinet, à Paris, le 10 août 1962.
L’arrivée ne marque que le début d’une reconstruction difficile. Les rapatriés sont orientés vers des cités neuves ou provisoires, comme la Rouguière, à Marseille. Les parcours professionnels sont brisés, les statuts sociaux remis à zéro. Malgré une série de mesures spécifiques – plus de 800 lois votées entre 1962 et 1980 – le sentiment d’injustice persiste. Aides à l’emploi, priorité aux logements sociaux, retraites reconstituées : tout cela ne suffit pas à apaiser l’impression d’abandon.
Car l’intégration sociale reste incomplète. Beaucoup ressentent une forme de mise à distance. Ni étrangers ni tout à fait métropolitains, les rapatriés sont cantonnés à une mémoire familiale, privée, peu relayée dans les récits nationaux. Le traumatisme est tu, transmis en silence entre générations. La France regarde ailleurs.
En 1970, un geste symbolique surgit pourtant sur la Corniche Kennedy : l’Hélice, sculptée par César, immense pale de neuf mètres, dressée face à la mer. En bronze maritime, elle évoque la traversée, l’arrachement, le voyage sans retour. Elle n’est pas un monument national. Mais pour ceux qui savent, elle reste un repère. Une mémoire d’acier, face à l’horizon perdu. Car pour beaucoup, le retour en France fut avant tout une perte.
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GLOSSAIRE
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Accords d’Évian : Traité signé le 18 mars 1962 entre la France et le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), mettant fin à la guerre d’Algérie et reconnaissant l’indépendance de l’Algérie.
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Algérie française : Terme désignant la période (1830–1962) durant laquelle l’Algérie était une colonie, puis un département français.
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Pieds-noirs : Appellation donnée aux Français d’Algérie d’origine européenne (souvent installés depuis plusieurs générations) ayant quitté l’Algérie après l’indépendance.
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Rapatriés : Terme administratif désignant les Français ayant quitté les anciens territoires coloniaux pour se réinstaller en métropole après l’indépendance (notamment d’Algérie).
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OAS (Organisation armée secrète) : Groupe clandestin d’extrême droite opposé à l’indépendance de l’Algérie, auteur de nombreux attentats en France et en Algérie en 1961–62.
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Quai de la Joliette : Port de Marseille, principal point d’arrivée des rapatriés d’Algérie en 1962.
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Gaston Defferre : Maire de Marseille en 1962, opposé à l’installation massive des rapatriés dans sa ville ; auteur de la phrase controversée « Qu’ils aillent se réadapter ailleurs. »
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Secrétariat d’État aux Rapatriés : Administration chargée de coordonner l’accueil et la réinsertion des rapatriés d’Algérie, notamment par le biais d’aides sociales et de logement.
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Cité de la Rouguière : Ensemble immobilier marseillais construit pour accueillir les rapatriés dans les années 1960.
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Hélice de César : Œuvre monumentale de l’artiste César Baldaccini, installée en 1970 sur la Corniche Kennedy à Marseille, devenue un lieu de mémoire pour les rapatriés.
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Corniche Kennedy : Boulevard surplombant la mer à Marseille, où est situé le Mémorial des rapatriés d’Algérie.
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