Le Muséum de Rouen : un trésor du XIXe siècle menacé

198 Rue Beauvoisine Rouen

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Temple des sciences figé dans le temps, le muséum d’histoire naturelle de Rouen est aujourd’hui au cœur d’une controverse patrimoniale. Fondé en 1828, il est l’un des plus anciens de France et l’un des derniers à avoir conservé son ambiance d’origine. À l’approche de son bicentenaire, ce lieu unique pourrait disparaître sous un projet de refonte complète.


L'HISTOIRE EN BREF

Le muséum de Rouen : un lieu au service du savoir

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 Un squelette de jeune éléphant au muséum de Rouen. 

En 1828, Félix-Archimède Pouchet, professeur de zoologie à Rouen, fonde un cabinet d’histoire naturelle pour accompagner les cours de médecine, botanique et pharmacie. Il l’installe dans un ancien couvent du XVIIe siècle, rue Beauvoisine. Dès 1834, le lieu ouvre au public, fait exceptionnel à l’époque : c’est déjà l’idée d’un musée citoyen, où la science s’adresse à tous

Felix-Archimede Pouchet

 Le scientifique français Félix Archimède Pouchet (1800-1872).

Pouchet, naturaliste réputé, connu pour avoir défendu contre Pasteur la théorie de la génération spontanée — l’idée selon laquelle certains êtres vivants pouvaient apparaître sans parents, à partir de matière inerte — croit profondément au rôle social de la vulgarisation scientifique. Pour lui, les collections ne sont pas réservées aux savants : elles doivent éclairer l’ensemble des citoyens.

Son successeur, Georges Pennetier, pousse cette mission encore plus loin. Il introduit en France les premiers dioramas naturalistes : scènes figées d’animaux dans leur environnement supposé, conçues pour captiver autant qu’instruire. Grâce à cette muséographie pionnière, le muséum de Rouen devient un lieu d’avant-garde, à la fois pédagogique, populaire et spectaculaire. Cette atmosphère unique séduit les écrivains : Flaubert, Michelet, Maupassant, plus tard Delerm, évoquent tous, à leur manière, l’étrangeté poétique du lieu — comme une rêverie scientifique figée dans le verre et la poussière.

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Un musée figé, mais vivant

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 Une des galeries du Muséum d'histoire naturelle de Rouen en 2018. 

Au fil des décennies, les collections s’enrichissent. L’Amiral Cécile, Jules Adeline, Delamare-Debouteville, ou encore la Société des Amis des Sciences Naturelles, fondée en 1865 par le médecin Emmanuel Blanche, multiplient dons et dépôts. En 1959, une nouvelle salle de dioramas complète un ensemble qui atteint aujourd’hui près de 800 000 objets, dont seuls quelques milliers sont exposés. Cela fait du muséum l’un des plus riches de France, juste après celui de Paris.

Des vitrines en verre soufflé, des étiquettes écrites à la plume, des parquets qui craquent sous les pas : chaque salle semble figée dans le XIXe siècle. On y croise des espèces disparues, des objets ethnographiques venus d’Océanie ou d’Afrique, collectés lors d’expositions universelles, de missions scientifiques ou de voyages coloniaux. D’autres provenaient de sources plus locales : à l’issue de la Foire Saint-Romain, les forains avaient pris l’habitude de vendre leurs animaux exotiques morts au muséum, parfois à prix modique. Un singe ou un serpent pouvaient ainsi rejoindre la galerie des merveilles, naturalisés à quelques pas d’un tigre ou d’un colibri.

Ce lieu singulier, conservé dans son jus, devient avec le temps un témoin rare de la muséographie ancienne. En 1996, pourtant, le bâtiment est fermé pour raisons de sécurité. La poussière s’installe, les visites s’arrêtent. Mais en 2007, après dix ans de fermeture et 1,4 million d’euros de travaux, le muséum rouvre ses portes, pratiquement inchangé. Escalier en bois, vitrines d’origine, salle des trésors à l’entrée : tout est là. Plus de 80 000 visiteurs viennent y redécouvrir un musée hors du temps, fidèle à l’esprit de ses fondateurs.

Visite au Muséum d'histoire naturelle de Rouen - 1

Une fusion synonyme de disparition ?

Tiger museum HN Rouen 

Aujourd’hui, le muséum est au centre du projet Beauvoisine, qui prévoit de fusionner le muséum et le musée des Antiquités dans un nouveau pôle muséal. L’objectif affiché : décloisonner les disciplines, attirer de nouveaux publics, introduire une scénographie numérique, immersive et plus émotionnellePour beaucoup, ce projet signe la fin du muséum tel qu’on le connaît. Escaliers démontés, planchers d’origine remplacés, vitrines historiques détruites, architecture contemporaine greffée sur un site ancien : la rupture est totale. La cour intérieure deviendrait une cafétéria moderne, le cloître serait surplombé d’une verrière. Frédéric Épaud, chercheur au CNRS et membre de la Commission régionale du patrimoine, dénonce un « patrimonicide ». Il alerte sur la disparition d’un musée unique en France par son état de conservation. D’autres voix, plus modérées, proposent une alternative : conserver le muséum dans son état actuel, et construire l’extension contemporaine dans les anciens bâtiments médicaux voisins, inutilisés depuis des années.

Le budget annoncé est de 70 millions d’euros. L’ouverture est prévue pour 2028, année symbolique du bicentenaire du muséum. Mais à ce rythme, le musée de Rouen ne soufflera jamais ses 200 bougies. Il sera absorbé dans un musée contemporain parmi d’autres, et sa singularité patiemment construite pendant deux siècles pourrait disparaître.
Sauver ce musée, c’est garder vivant un lieu où la science, la curiosité et la mémoire dialoguent encore en silence.

 

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GLOSSAIRE

  • Cabinet d’histoire naturelle : nom donné, au XIXe siècle, aux premiers espaces de collections scientifiques servant à l’étude de la nature (animaux, plantes, minéraux), souvent à usage pédagogique avant de devenir musées ouverts au public.

  • Génération spontanée : théorie scientifique ancienne selon laquelle des êtres vivants pouvaient naître directement de matière inerte (par exemple, des vers apparaissant dans la boue), réfutée au XIXe siècle par Louis Pasteur.

  • Diorama naturaliste : mise en scène réaliste d’animaux naturalisés dans un décor représentant leur habitat. Utilisé à des fins pédagogiques, ce procédé fut innovant au XIXe siècle.

  • Muséographie : discipline qui étudie l’organisation et la présentation des collections dans les musées. Elle évolue en fonction des modes de transmission du savoir.

  • Naturalisation : technique de conservation des animaux morts, visant à leur donner l’apparence du vivant. Les spécimens ainsi préparés sont utilisés dans les musées pour l’éducation scientifique.

  • Muséum : institution scientifique et éducative consacrée à l’étude et à l’exposition d’objets d’histoire naturelle (animaux, fossiles, plantes, minéraux…).

  • Foire Saint-Romain : grande foire populaire rouennaise existant depuis le Moyen Âge, durant laquelle des forains vendaient parfois des animaux vivants ou morts, dont certains finissaient au muséum.

  • Société des Amis des Sciences Naturelles : association savante locale fondée en 1865 à Rouen, ayant joué un rôle central dans l’enrichissement et la conservation des collections du muséum.

  • Scénographie immersive : conception muséale intégrant des technologies ou dispositifs sensoriels pour impliquer émotionnellement le visiteur dans le parcours d’exposition.

  • Patrimonicide : néologisme critique désignant la destruction ou la perte irréversible d’un patrimoine historique ou culturel, volontairement ou par négligence.

  • Projet Beauvoisine : nom du projet de réaménagement du site incluant le muséum et le musée des Antiquités de Rouen, visant à créer un nouveau pôle muséal contemporain.

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POUR SE REPÉRER

 


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