
La Bataille du Chemin des Dames : de la promesse de victoire à la mémoire d’un désastre
7 Chem. des Dames Cerny-en-Laonnois
« On nous a envoyés là pour crever comme des chiens. » extrait de la lettre d’un soldat français du 36e régiment d’infanterie, écrite pendant la bataille du Chemin des Dames, en avril 1917.
Printemps 1917, plateau du Chemin des Dames. Un million d’hommes mobilisés, 187 000 pertes estimées, une offensive annoncée comme décisive qui tourne au carnage. L’armée française vacille, et avec elle la confiance des poilus. Entre folie stratégique et révolte silencieuse, l’échec du Chemin des Dames marque un tournant.
L'HISTOIRE EN BREF
Le Chemin des Dames : un piège mortel pour l’armée française
Offensive durant la bataille de la Somme en 1916.
Depuis 1914, la guerre s’enlise. Les offensives d’Artois, de Champagne ou de Verdun ont saigné l’armée française sans infléchir la ligne de front. En décembre 1916, le général Robert Nivelle est nommé à la tête des armées. Convaincu de tenir la clé de la victoire, il annonce une percée en quarante-huit heures sur un secteur stratégique : le plateau du Chemin des Dames, entre Soissons et Reims.
La crête surplombe les vallées de l’Aisne et de l’Ailette, offrant aux Allemands un avantage décisif. Le plan français prévoit un déluge de feu : 5 300 canons, 128 chars, 500 avions, des bataillons coloniaux, des troupes russes. Un million d’hommes sont mobilisés. En face, 680 000 soldats allemands occupent la crête, répartis en 41 divisions, solidement retranchées. Prévenus par les préparatifs, les Allemands ont consolidé leurs lignes. Le terrain, ravagé par les obus, est devenu un piège mortel.
Tranchée allemande dans l'Aisne pendant la 1ère Guerre Mondiale.
L’objectif affiché par Nivelle est ambitieux : enfoncer le front allemand, rompre la guerre de positions et libérer la ville de Laon, située à une trentaine de kilomètres au nord. Mais l’armée allemande, bien installée sur les hauteurs depuis 1914, a transformé le Chemin des Dames en un bastion fortifié. Réseaux de tranchées profondes, abris bétonnés, nids de mitrailleuses intégrés dans la roche, abris troglodytiques : tout y est pensé pour résister à un assaut frontal. Certaines positions, comme la Caverne du Dragon, sont même aménagées sur plusieurs niveaux souterrains. Les Français s’apprêtent à gravir un mur invisible, sans en mesurer toute l’ampleur.
16 avril 1917 : l’assaut français vire au carnage
Assaut français au chemin des Dames.
Le 16 avril 1917, à 6 heures, après plusieurs jours de bombardements massifs par l’artillerie française, sous une pluie glaciale et une brume épaisse, les soldats s’élancent. Leurs bottes s’enfoncent dans la boue. Leurs sacs pèsent 30 kilos. Les mitrailleuses allemandes, intactes, les fauchent dès les premières pentes. Les chars Schneider tombent en panne ou prennent feu. Certains poilus, brûlés vifs dans leur blindé, hurlent sans secours. En dix jours, plus de 130 000 soldats français sont tués, blessés ou portés disparus.
Ce qu'il reste du village de Soupir en 1917.
Les villages alentour sont pulvérisés : Craonne, Cerny, Hurtebise, Soupir. Le moulin de Laffaux disparaît sous les décombres. Le général Micheler, initialement optimiste, reconnaît l’échec. Mais Nivelle s’entête. Il prolonge l’offensive au-delà du raisonnable. Le front s’enlise. Le 15 mai, il est relevé de son commandement. Son successeur, Philippe Pétain, prend la mesure du désastre humain et moral.
Tir de barrage à Craonne en 1917.
Nivelle promettait un triomphe en 48 heures. En 48 heures, c’est la confiance de toute une armée qui s’effondre. Dans les cantonnements, les hommes craquent. Permissions supprimées, rationnement, promesses trahies. Les graffitis se multiplient sur les wagons : « La guerre, on en crève » ; « Nos chefs, on les aura ». On entend des refrains interdits, comme la chanson de Craonne : « C’est à Craonne, sur le plateau, qu’on doit laisser sa peau ».
Les mutineries de 1917 : quand les poilus ont dit non à la guerre
L'attaque du 5 mai 1917 sur le Chemin des Dames. Progression sous le feu, en ligne d'escouade, derrière leur commandant.
Entre mai et juin, jusqu’à 40 000 soldats refusent de remonter en ligne. Des mutineries éclatent. Des régiments refusent les ordres. Des soldats manifestent, rédigent des pétitions, chantent l’Internationale. Certains sont infiltrés par des agents déguisés en poilus. Les meneurs sont désignés, isolés, jugés. Pétain, à la fois stratège et politique, alterne fermeté et apaisement. Il rétablit les permissions, améliore l’intendance, limite les offensives hasardeuses. Mais il rétablit aussi les conseils de guerre spéciaux. Sur 3 500 soldats jugés, 554 sont condamnés à mort, 49 exécutés.
Mai 1916 : Infanterie allemande battant en retraite à travers la campagne désolée près du Chemin des Dames
L’offensive reprend à l’été. Le 25 juin, la Caverne du Dragon est reprise, avec ses galeries, ses dortoirs, et ses tombes creusées dans la roche. En octobre, la prise du fort de la Malmaison scelle la fin de la bataille. Le 24 octobre, après six mois d’hécatombe, le Chemin des Dames n’est plus entre les mains allemandes. Mais à quel prix.
Soldats français surplombant les positions allemandes, bataille de Malmaison, 1917.
Et pourtant, sur les monuments, leurs noms manquent encore. Il faut attendre les années 1960 pour que des historiens comme Guy Pedroncini, André Bach ou André Loez redonnent voix aux fusillés pour l’exemple. Aujourd’hui, la Caverne du Dragon est un musée. Le plateau de Californie est devenu un belvédère de mémoire. Et Craonne, ce village rayé de la carte, continue de chanter ce que les monuments ont longtemps tu.
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GLOSSAIRE
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Chemin des Dames : Crête située dans l’Aisne, entre les vallées de l’Aisne et de l’Ailette, haut lieu stratégique tenu par les Allemands depuis 1914. Théâtre de l’offensive française en avril 1917.
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Offensive Nivelle : Plan d’assaut conçu par le général Robert Nivelle visant une percée rapide du front allemand sur le Chemin des Dames. L’opération échoua, entraînant d’énormes pertes.
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Poilus : Surnom donné aux soldats français de la Première Guerre mondiale, symboles de courage et d’endurance dans les tranchées.
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Chars Schneider : Premiers chars d’assaut français engagés au combat lors de cette offensive. Peu fiables, beaucoup furent détruits ou tombèrent en panne.
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Caverne du Dragon : Carrière souterraine fortifiée par les Allemands, transformée en caserne puis reprise par les Français en juin 1917. Aujourd’hui un musée mémoriel.
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Fort de la Malmaison : Position fortifiée sur le Chemin des Dames, reprise par l’armée française en octobre 1917, marquant la fin de l’offensive.
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Mutineries de 1917 : Révoltes massives de soldats français à partir de mai 1917, consécutives à l’échec de l’offensive. Environ 40 000 soldats refusèrent de combattre.
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Fusillés pour l’exemple : Soldats exécutés par l’armée française après jugement sommaire pour actes de désobéissance. 49 furent officiellement fusillés durant les mutineries.
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Artillerie lourde : Ensemble des canons français mobilisés avant l’assaut. 5 300 pièces furent utilisées pour pilonner les lignes allemandes.
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Ligne Hindenburg : Position défensive allemande renforcée, en retrait du front, que les Français espéraient atteindre à travers le Chemin des Dames.
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Chanson de Craonne : Chant pacifiste et contestataire devenu emblème des mutineries. Interdit jusqu’en 1974, il dénonçait la souffrance des soldats sacrifiés.
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Plateau de Californie : Point culminant du Chemin des Dames, position stratégique et aujourd’hui belvédère de mémoire.
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Philippe Pétain : Général français qui remplaça Nivelle après l’échec de l’offensive. Il combina mesures d’apaisement et répression ciblée pour juguler la crise morale de l’armée.
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