
Fréjus, un mémorial pour se souvenir de la Guerre d’Indochine
862 Av. du Général d'armée Jean Calliès Fréjus
Sur les hauteurs de Fréjus, le mémorial des guerres d’Indochine rend hommage à 35 000 soldats morts pour la France entre 1946 et 1954. Cette guerre coloniale, aujourd’hui largement oubliée, s’est déroulée en Asie du Sud-Est et a marqué un tournant dans la fin de l’empire colonial français. Le mémorial leur redonne un visage, une histoire, un lieu.
L'HISTOIRE EN BREF
Conquête coloniale et origines de la guerre d’Indochine
1954, un légionnaire français de la Légion Étrangère s'en va-t-en guerre.
Lorsque les troupes françaises débarquent en 1858 à Tourane (actuelle Da Nang), elles entament un long processus de conquête qui aboutit à la création de l’Union indochinoise en 1887. Sous couvert de protection des missionnaires catholiques, la France impose peu à peu sa domination sur le Vietnam, le Cambodge et le Laos. Mais derrière la façade civilisatrice, le ressentiment couve. Dès les années 1930, les insurrections se multiplient. En 1930, la révolte de Yên Bái menée par des tirailleurs annamites est écrasée, et de nombreux opposants sont déportés dans les bagnes de Poulo Condor. La conscience nationale vietnamienne se forge dans la répression.
Carte de l'indochine Française entre 1900 et 1945.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’administration coloniale s’affaiblit. Le 9 mars 1945, les Japonais éliminent brutalement l’appareil français. Le 2 septembre, jour de la reddition japonaise, Hô Chi Minh proclame à Hanoi l’indépendance de la République démocratique du Vietnam. Pourtant, la France revient. Malgré les accords Hô–Sainteny du 6 mars 1946 qui prévoyaient une solution politique, Paris refuse de reconnaître la légitimité du gouvernement viêt-minh, considéré comme une marionnette communiste soutenue par Moscou et Pékin, dans un contexte de début de guerre froide.
Võ Nguyên Giáp et Hô Chi Minh en 1939.
Dès décembre 1946, les négociations échouent. La guerre éclate, sans être nommée. Dans une France encore convalescente, la guerre d’Indochine mobilise 400 000 hommes et vide les caisses de l’État. En 1950, les États-Unis financent 80 % de l’effort de guerre français. Mais en métropole, l’opinion se crispe : les grèves se multiplient, et les jeunes appelés se demandent pourquoi ils partent mourir si loin.
La guérilla viêt-minh, appuyée par la Chine de Mao à partir de 1949, harcèle l’armée française. L’opération Léa, qui visait à décapiter la direction ennemie, échoue. En 1950, la catastrophe de la RC4 (évacuation de Cao Bang) marque un tournant. L’arrivée du général de Lattre redonne un temps l’initiative à la France, avec des victoires à Vinh Yen et sur le fleuve Day. Mais à sa mort, en janvier 1952, l’armée s’enlise de nouveau.
La bataille de Diên Biên Phu, tournant de la guerre d’Indochine
Alors que le Vietminh les bombardait depuis les collines, les troupes françaises tentaient de survivre dans leurs tranchées.
En 1953, le général Henri Navarre est nommé commandant du corps expéditionnaire français d’Extrême-Orient. Sa mission : restaurer l’initiative et trouver une sortie "honorable" à la guerre. Il choisit de fortifier une cuvette isolée au nord-ouest du Vietnam, à proximité du Laos. Ce sera Diên Biên Phu. L’idée est de tendre un piège au général Giap. Mais c’est l’armée française qui s’y engouffre.
Le 20 novembre, l’opération Castor parachute plus de 4 500 hommes pour sécuriser la zone. Ils installent des points d’appui nommés Béatrice, Gabrielle, Huguette, Éliane, comme autant de bastions autour d’un terrain d’aviation vital. Mais l’ennemi, loin d’être désorganisé, encercle méthodiquement le camp. Des milliers de coolies transportent artillerie et munitions dans les montagnes. Giap, stratège du Viêt-Minh, prépare un siège en règle. Il dira plus tard : « Nous avons creusé la montagne avec des paniers. »
Les troupes du Viet Minh plantant leur drapeau sur le quartier général français capturé à Dien Bien Phu en 1954.
Le 13 mars 1954, à 17h10, l’artillerie vietnamienne ouvre le feu. La bataille dure 57 jours. Le 14 mars, Béatrice tombe, bientôt suivi de Gabrielle. Un commandant français se souvient : "Je sors, il fait encore nuit, l’air est chargé de poussière jaune. Le spectacle est hallucinant." Les parachutages de renforts deviennent impossibles. La piste est pilonnée, les blessés ne peuvent plus être évacués. La pluie transforme le camp en cloaque.
Dien Bien Phu, des soldats français capturés par les troupes vietnamiennes, marchent vers un camp de prisonniers.
Le 7 mai, à 18 heures, tout est perdu. Sur 15 000 soldats français présents, plus de 10 000 sont faits prisonniers. La plupart ne reviendront jamais. La défaite provoque un séisme politique. En juillet, les accords de Genève mettent fin à la guerre : le Vietnam est divisé, la France quitte l’Indochine. La bataille de Diên Biên Phu incarne à la fois l’héroïsme militaire, le sacrifice, et l’échec stratégique d’une guerre devenue absurde.
Le mémorial des guerres d’Indochine, lieu de mémoire nationale
La une du journal "L'Humanité" du 25 juillet 1954, célébrant la fin de la guerre d'Indochine, illustré par Pablo Picasso
Loin de l’Asie, à Fréjus, un ancien camp colonial devient en 1993 le lieu d’accueil des morts de cette guerre. Le site avait déjà vu passer des tirailleurs indochinois en transit durant la Première Guerre mondiale. Entre 1986 et 1987, grâce à un accord franco-vietnamien, les restes de plus de 20 000 morts — militaires identifiés, soldats inconnus, et civils — sont rapatriés depuis les anciens cimetières d’Indochine.
Des soldats blessés à Dien Bien Phu arrivent à Orly.
Le mémorial prend la forme d’un cercle de 110 mètres de diamètre, posé sur pilotis, tourné vers la mer. Il évoque à la fois l’enceinte militaire et la ronde des âmes. En son centre, un jardin du souvenir accueille les cendres d’anciens combattants. Un lieu cultuel, aménagé en 1996, permet les rites bouddhistes, musulmans, juifs et chrétiens. Le mur du souvenir, long de 64 mètres, porte 35 000 noms. Ils sont gravés sur 438 plaques, par année de décès, sans distinction de grade ni d’origine. Ce mur fait exister ceux dont il ne reste rien : ni corps, ni sépulture, seulement un nom.
Un mur du Mémorial de Fréjus.
Ce haut lieu de mémoire, géré par l’Office National des Anciens Combattants et Victimes de Guerre, condense les symboles de la guerre d’Indochine : division Nord/Sud, effacement colonial, culte républicain du souvenir, et volonté de paix. Depuis 2005, chaque 8 juin, la France leur rend hommage. La cérémonie nationale a lieu ici, à Fréjus, où la pierre garde la mémoire d’un conflit longtemps ignoré. Ce mémorial nous confronte aussi à notre difficulté à regarder en face les pages troubles de notre histoire.
Note aux lecteurs
Les livres que nous vous proposons à travers l'article sont vendus en affiliation avec nos partenaires commerciaux. Ce sont les commissions que nous touchons sur chaque vente, qui permettent de financer Ystory dans la construction de cette mémoire collective multimédia.
GLOSSAIRE
-
Guerre d’Indochine : Conflit armé entre la France et le Viêt-Minh (1946–1954), sur le territoire des anciennes colonies d’Indochine (Vietnam, Laos, Cambodge).
-
Viêt-Minh : Mouvement indépendantiste vietnamien dominé par les communistes, fondé en 1941 et dirigé par Hô Chi Minh.
-
Hô Chi Minh : Chef du Viêt-Minh, fondateur de la République démocratique du Vietnam proclamée à Hanoi en 1945.
-
Général Giap (Vo Nguyen Giap) : Stratège militaire du Viêt-Minh, vainqueur de la bataille de Diên Biên Phu.
-
Corps expéditionnaire français d’Extrême-Orient (CEFEO) : Armée française envoyée en Indochine pour rétablir le contrôle colonial, de 1945 à 1956.
-
Accords Hô–Sainteny (6 mars 1946) : Accord temporaire entre la France et le Viêt-Minh, vite rompu, qui reconnaissait l’unité du Vietnam mais pas son indépendance.
-
Opération Castor : Opération aéroportée menée par l’armée française pour occuper la cuvette de Diên Biên Phu en novembre 1953.
-
Bataille de Diên Biên Phu : Siège de 57 jours en 1954, soldé par une lourde défaite française. Elle marque la fin de la guerre d’Indochine.
-
Accords de Genève (21 juillet 1954) : Accord de paix mettant fin à la guerre d’Indochine, divisant temporairement le Vietnam au 17e parallèle.
-
RC4 : Route coloniale 4, théâtre d’une déroute militaire française majeure en 1950.
-
Fréjus : Ville du Var accueillant le mémorial national des guerres d’Indochine depuis 1993.
-
Mémorial des guerres d’Indochine : Haut lieu de mémoire à Fréjus, rassemblant les restes de plus de 20 000 morts français d’Indochine et un mur du souvenir de 35 000 noms.
-
Mur du souvenir : Monument de 64 mètres à Fréjus, où sont gravés les noms des soldats morts pour la France entre 1940 et 1954, dont les corps n’ont pas été retrouvés.
-
Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONaCVG) : Organisme public en charge de l’entretien du mémorial et de la politique de mémoire.
-
Coolies : Terme d’époque (aujourd’hui péjoratif) utilisé pour désigner les porteurs ou travailleurs vietnamiens réquisitionnés par le Viêt-Minh pour acheminer matériel et munitions.
-
Tirailleurs indochinois : Soldats recrutés localement en Indochine pour servir dans l’armée coloniale française.
-
Union indochinoise : Ensemble des colonies et protectorats français en Asie du Sud-Est créé en 1887 (Tonkin, Annam, Cochinchine, Laos, Cambodge).
-
Guerre froide : Conflit idéologique global entre États-Unis et URSS (1947–1991), qui a fortement influencé la guerre d’Indochine via les soutiens au Viêt-Minh (URSS, Chine) et à la France (États-Unis).
POUR SE REPÉRER
APPEL À CONTRIBUTION
Ce sujet mérite sûrement un article complet !
Vous connaissez son histoire par cœur ?
Alors venez nous la raconter en détail ! Nous vous invitons à rejoindre notre communauté de passionnés, en venant partager vos connaissances sur Ystory. En participant à ce projet, vous contribuerez non seulement à faire vivre l'histoire des sujets qui vous passionnent, mais aussi à enrichir la base de données de notre mémoire collective !