
Roland-Garros : Sur les traces d’un monument du tennis mondial
Stade Roland Garros 2 Av. Gordon Bennett
À l’ouest de Paris, un lieu fait vibrer chaque année les amateurs de tennis du monde entier : Roland-Garros. Mais au-delà des aces et des revers, ce stade emblématique cache une histoire fascinante. Il incarne à la fois le génie sportif, l’élégance à la française, et des épisodes méconnus de l’Histoire. Voici trois facettes pour comprendre pourquoi cette terre battue est bien plus qu’un terrain de jeu.
L'HISTOIRE EN BREF
Roland Garros : un stade né d’un exploit
21 juillet 1928, match de coupe Davis au stade Roland-Garros.
En septembre 1927, à Philadelphie, une équipe française entre dans l’Histoire : Jean Borotra, Henri Cochet, René Lacoste et Jacques Brugnon, surnommés les “quatre Mousquetaires”, remportent la Coupe Davis face aux Américains. Un exploit sans précédent qui bouleverse les équilibres du tennis mondial — et qui oblige la France, tenante du titre, à organiser la finale de la prochaine édition sur son sol. Problème : aucun court parisien ne peut accueillir un tel événement. Les installations du Stade français ou du Racing Club de France sont jugées trop petites, trop vétustes. Il faut bâtir un nouveau stade, moderne et ambitieux, en un temps record. C’est Émile Lesieur, dirigeant influent du Stade français, qui débloque la situation : il accepte de céder un terrain à la porte d’Auteuil à condition qu’il porte le nom de son ami disparu : Roland Garros. Aviateur de légende, héros de la Grande Guerre et pionnier des traversées aériennes, Garros n’était pas joueur de tennis — mais il avait parrainé Lesieur dans son club. Son nom, gravé dans la mémoire nationale, incarne l’esprit de conquête et d’audace qui sied à ce projet. Ainsi naît le stade Roland-Garros, inauguré au printemps 1928, à temps pour accueillir les plus grands champions de l’époque — et pour ancrer le tennis français dans la légende.
6 juin 1911 : l'aviateur français Roland Garros dans le cockpit d'un avion.
Mais ce qui rend Roland-Garros véritablement unique, c’est sa surface : la terre battue. Contrairement aux courts en gazon de Wimbledon ou aux surfaces dures de l’US Open, ici tout se joue dans la lenteur, l’endurance, le rebond haut et incertain. Ce sol rouge si emblématique, est né à Cannes, en 1880, sous les pas d’un Britannique, William Renshaw. Pour préserver ses pelouses grillées par le soleil méditerranéen, il les recouvre d’une fine poudre de pots en terre cuite broyés. Ce bricolage pratique devient un geste fondateur. La terre battue forge un style de jeu exigeant, où chaque point est une bataille, chaque victoire, une conquête.
4 juin 1928, Lacoste rencontre Cochet en finale du simple messieurs de Roland-Garros.
Quand le nouveau stade ouvre ses portes en 1928, les Internationaux de France, créés trois ans plus tôt, trouvent enfin un écrin à leur mesure. Le tournoi change d’échelle : d’événement national, il devient rendez-vous mondial. Le public découvre un tennis de glisse, de patience et de stratégie. Dans les années 1930, le tournoi s’impose comme le théâtre des grandes heures du tennis français, dominé par les Mousquetaires, qui remportent plusieurs titres sur cette terre ocre devenue leur royaume. Roland-Garros n’est plus un simple stade : c’est déjà un symbole, un mythe en construction.
La ferveur populaire d'une arène pour un tennis de légende
Le 11 juin 2012, l'espagnol Rafael Nadal pose avec la Coupe des Mousquetaires après sa victoire en finale de Roland-Garros contre le Serbe Novak Djokovic.
Roland-Garros, c’est avant tout une scène où s’écrivent des pages majeures de l’histoire du sport. Ici, chaque point peut devenir une bataille d’endurance, chaque victoire un sacre mythique. Des champions comme Björn Borg, Chris Evert, Yannick Noah, Steffi Graf ou Roger Federer y ont forgé leur légende. Mais aucun nom ne domine autant la terre battue parisienne que celui de Rafael Nadal. Avec 14 titres entre 2005 et 2022, l’Espagnol a imposé une forme de suprématie inédite sur une même surface. Le voir glisser en défense, frapper du fond du court, puis rugir au crépuscule d’un match en cinq sets est devenu un spectacle à part entière, une expérience presque rituelle pour les amateurs de tennis.
La place des Mousquetaires lors du tournoi de Roland-Garros 2014
Mais Roland-Garros ne se limite pas aux champions. Chaque jour du tournoi, plus de 30 000 spectateurs venus des quatre coins du monde arpentent les allées du stade. La place des Mousquetaires, vaste esplanade animée de stands, d’écrans géants et de transats, devient leur point de ralliement. Là, on bronze entre deux matchs, on partage un sandwich au pas de course, on vibre à l’unisson devant un tie-break décisif. C’est parfois ici que se vit l’histoire — comme en 1973, quand un match de qualifications entre Denis Naegelen et Nicolas Kelaidis, interrompu par la pluie à 4-4 au troisième set, se termine... sans vainqueur. Le seul match nul de l’histoire du tournoi. Et c’est encore ici qu’on évoque les batailles épiques, comme celle de Djokovic contre Nadal en 2021, ou le match le plus long jamais joué à Roland-Garros : 6 h 33 entre Santoro et Clément en 2004. Ce tournoi est un théâtre, et son public en est l’orchestre. C’est cette alliance rare entre performances d’élite et ferveur collective qui donne à Roland-Garros son caractère unique, entre arène antique et fête populaire.
Un lieu aux mille vies, entre mémoire et renaissance
Bien avant d’être un temple du tennis, Roland-Garros a aussi été un lieu de repli, de silence et d’ombre. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est réquisitionné et transformé en camp d’internement pour des étrangers jugés indésirables par le régime de Vichy. Pendant six années, le tournoi s’interrompt. La terre battue reste muette, remplacée par les pas feutrés de ceux qu’on enferme. Parmi les détenus, l’écrivain Arthur Koestler est enfermé sous les gradins du court central. Dans La Lie de la Terre, il évoque des nuits passées "dans de drôles de grottes sous la grande tribune", à même le béton, au pied d’un tableau d’affichage portant encore les résultats d’un ancien match Cochet–Borotra. Comme un dernier écho de sport figé dans un lieu suspendu.
Match de boxe sur le central de Roland Garros en 1931.
Mais Roland-Garros a aussi connu des métamorphoses aussi inattendues que révélatrices de son époque. Pendant l’Occupation, le stade encore sous contrôle sert de décor à des pièces de théâtre mises en scène par Jean-Louis Barrault, jouées devant des tribunes clairsemées. En 1945, il se transforme en arène de boxe : Marcel Cerdan y affronte Holman Williams, et c’est là, ce soir-là, qu’il croise pour la première fois Édith Piaf. En 1950, le court central est recouvert de glace et devient une patinoire éphémère, avant d’accueillir un match de hockey sous les projecteurs. Bien plus tard, en plein tournoi, le stade devient le décor d’un clip musical de Martin Solveig, où le public joue son propre rôle. À chaque époque, Roland-Garros s’adapte, se réinvente, change de visage sans jamais perdre son âme.
Le court Suzanne Langlen avec son nouveau toit amovible en 2024.
Aujourd’hui, cette histoire multiple se mêle à une modernisation ambitieuse. Le court Philippe-Chatrier est désormais doté d’un toit rétractable ; les matchs se jouent de nuit ; la place des Mousquetaires, entièrement réaménagée, est ouverte au public hors tournoi. Le site a aussi accueilli plusieurs épreuves des Jeux olympiques de Paris 2024, dont la boxe, renouant avec ses usages passés. Roland-Garros évolue ainsi, sans trahir son âme : chaque génération y inscrit sa propre empreinte, sur une terre déjà marquée par les plus grands. Un symbole vivant, enraciné dans l'histoire et tourné vers le futur.
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GLOSSAIRE
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Roland-Garros : Stade emblématique du tennis français situé à Paris, inauguré en 1928, et lieu des Internationaux de France.
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Terre battue : Surface de jeu composée de brique pilée, caractéristique de Roland-Garros, lente et exigeante.
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Quatre Mousquetaires : Surnom donné à Jean Borotra, Henri Cochet, René Lacoste et Jacques Brugnon, héros du tennis français des années 1920-30.
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Coupe Davis : Compétition internationale masculine de tennis par équipes, remportée par la France en 1927.
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Émile Lesieur : Dirigeant du Stade français, à l'origine de la dénomination du stade en mémoire de son ami Roland Garros.
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Roland Garros (personne) : Aviateur français, héros de la Première Guerre mondiale, mort au combat en 1918.
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Philippe-Chatrier (court) : Court central principal de Roland-Garros, nommé en hommage à un ancien président de la FFT.
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Place des Mousquetaires : Esplanade au cœur du stade, animée et ouverte au public, rénovée entre 2018 et 2021.
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Match en cinq sets : Format de match dans les tournois masculins du Grand Chelem, pouvant durer plusieurs heures.
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Tie-break : Jeu décisif servant à départager les joueurs à 6 jeux partout dans un set.
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Internés de Roland-Garros : Prisonniers civils enfermés dans le stade pendant l’Occupation, notamment des étrangers.
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Arthur Koestler : Écrivain et journaliste hongrois, interné à Roland-Garros durant la Seconde Guerre mondiale.
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Marcel Cerdan : Boxeur français ayant combattu à Roland-Garros en 1945 ; compagnon d’Édith Piaf.
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Édith Piaf : Chanteuse française mythique, rencontre Cerdan lors d’un combat à Roland-Garros.
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Jean-Louis Barrault : Homme de théâtre français ayant mis en scène des pièces au stade pendant l’Occupation.
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Jeux olympiques de Paris 2024 : Événement sportif international accueilli en partie à Roland-Garros, notamment pour la boxe.
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William Renshaw : Ancien joueur britannique, inventeur de la terre battue à Cannes vers 1880.
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Martin Solveig : DJ et musicien français ayant tourné un clip à Roland-Garros pendant le tournoi.
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US Open / Wimbledon : Autres tournois du Grand Chelem, joués respectivement sur surface dure et gazon.
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