
L’arsenal de Brest : 400 ans d’histoire maritime et ouvrière
2 Rue Neuve Brest
Ce que Toulon est à la Méditerranée, Brest l’a longtemps été pour l’Atlantique. Pendant plus de quatre siècles, l'arsenal de Brest a été le pilier de la puissance navale française. Fondé par Richelieu, renforcé par Colbert, occupé par la Kriegsmarine, puis reconstruit après 1945, il a façonné la ville autant que les navires. De la corderie au porte-avions, il incarne l'histoire d'une ville-arsenal devenue aujourd'hui un pôle des sciences marines.
L'HISTOIRE EN BREF
Brest : un arsenal né de l’ambition royale
Vaisseaux en cours d’armement dans l’arsenal de Brest. Tableau de Louis-Nicolas Van Blarenberghe, 1776.
Lorsque Richelieu décide en 1631 de créer un port militaire à Brest, il ne choisit pas ce site par hasard. Protégée par la rade de Brest, profonde et facilement défendable, et par la Penfeld, rivière encaissée offrant un abri naturel aux navires, la ville est à la fois imprenable et stratégique pour contrer l'Angleterre. Cette topographie unique attire l'attention de l'État, qui voit en Brest une base idéale pour projeter la puissance navale française sur l'Atlantique.
Sous Colbert, les travaux s'accélèrent de manière spectaculaire : des quais monumentaux sont bâtis, les bassins de radoub creusés, la grande corderie de 400 mètres érigée avec une ingénierie impressionnante. Les forges et les magasins complètent cet ensemble qui ne tarde pas à devenir le plus grand arsenal du royaume. Dès lors, l'arsenal s'impose comme un instrument central de la stratégie maritime française et un levier d’industrialisation précoce, piloté par une bureaucratie rigoureuse sous l’œil de l’intendant royal.
Plan du port et de la ville de Brest en 1763.
Au XVIIIe siècle, Choquet de Lindu transforme l'arsenal en une véritable cité industrielle. Il conçoit des infrastructures en granit taillé pour durer : formes de radoub, quais, entrepôts, et surtout la grande corderie. L'arsenal bat son plein : plus de 10 000 ouvriers y travaillent chaque jour, dont une partie issue du bagne de Brest, construisant des vaisseaux de 74 canons qui nécessitent jusqu'à 2 000 chênes centenaires chacun. Brest se mue en ville-arsenal, rythmée par les cadences des chantiers, la discipline militaire, et les clameurs des chœurs d'ouvriers au sortir des ateliers.
L'Arsenal de Brest : de la révolution industrielle à la guerre totale
Arsenal du port de Brest depuis le pont tournant, vers 1895.
Avec le XIXe siècle, l'arsenal de Brest entre dans une période d'expansion industrielle sans précédent. L'arrivée de la marine à vapeur, du métal et des techniques modernes bouleverse l'organisation des chantiers. En 1840, de nouveaux ateliers sont installés sur le plateau des Capucins, notamment de mécanique, fonderie et chaudronnerie. Le site tourne alors à plein régime : les marteaux frappent, les presses gémissent, les chariots roulent sur les rails entre les nefs d'acier.
Entrée de l'Arsenal et sa grande grue.
En 1910, la Grande Grue est mise en service sur les bassins de Laninon : elle peut soulever jusqu'à 150 tonnes d'acier. Brest devient une plaque tournante de la construction navale française, capable de produire et d'entretenir les navires les plus puissants de la flotte. Comme le disait un ouvrier : « À Brest, c'est pas les cloches qui rythmaient les journées, c'était le marteau. »
Dans le port de Brest, les deux bassins de Pontaniou après des bombardements en 1944.
Mais le véritable basculement intervient en juin 1940, avec l’Occupation allemande. La Kriegsmarine réquisitionne l'arsenal pour en faire une base stratégique de sous-marins. Malgré les sabotages français, les installations sont rapidement réactivées : le 4 juillet, les machines redémarrent, sur fond de surveillance militaire et de contrainte sociale. Les ouvriers brestois, encadrés par le régime de Vichy, réparent bassins, grues et navires. Une anecdote glaçante : des pièces d'artillerie françaises démontées et entreposées avant guerre sont réassemblées par les Allemands, puis tournées contre les Alliés. La ville subit des bombardements massifs en 1944, mais l’arsenal, bien que gravement touché, reste un pivot de la reconstruction à la Libération.
De la marine de guerre à l'exploration scientifique
Navire militaire construit à l'Arsenal de Brest en 1963.
Dès les années 1950, l'arsenal retrouve son souffle avec la reconstruction et les grands programmes militaires lancés par l'État : le porte-avions Clemenceau, le croiseur Colbert, ou encore le porte-hélicoptères Jeanne d'Arc sortent des bassins brestois. L'activité bat son plein jusqu'aux années 1970, où plus de 6 000 ouvriers œuvrent dans les ateliers, sur les quais et dans les bassins de radoub.
Le sous-marin nucléaire français « Le Terrible » dans l'arsenal de Brest en 1981.
Mais l’équilibre se brise en 1975 : le départ des porte-avions vers Toulon coûte à Brest 4 000 emplois. L’arsenal devient un site d’entretien des sous-marins nucléaires, puis se privatise en 2003 sous le nom de DCNS, aujourd'hui Naval Group. La construction neuve s'efface, les effectifs fondent à moins de 3 000. Mais la ville ne tourne pas le dos à son passé. Elle amorce même un nouveau virage : celui de la science marine et de l'innovation océanographique.
L'Atelier des Capucins en 2019.
Les anciens ateliers des Capucins sont réhabilités en espace culturel. Le graffiti "La Penfeld n'existe pas", laissé sur les murs par les ouvriers, devient un symbole de la réappropriation civile. Les visiteurs y croisent encore d'anciens chaudronniers, parfois guidés par la mémoire du bruit du marteau sur la coque. Brest n'est plus uniquement un bastion militaire : la ville mise aujourd'hui sur les sciences de la mer, la recherche et les technologies marines, perpétuant autrement son lien ancestral avec l'océan.
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GLOSSAIRE
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Arsenal : ensemble d'infrastructures militaires navales pour construire, entretenir et armer les navires.
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Penfeld : rivière de Brest bordant l'arsenal, stratégique par sa géographie encaissée.
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Radoub : opération de maintenance d'un navire hors de l'eau, dans un bassin spécial.
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Corderie : lieu où l'on fabrique les cordages pour les navires.
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Kriegsmarine : marine de guerre allemande pendant la Seconde Guerre mondiale.
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DCNS/Naval Group : entreprise française d'industrie navale militaire, héritière de l'arsenal.
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Capucins : ancien plateau militaire à Brest, aujourd'hui espace culturel public.
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