
La base sous-marine de Lorient : une forteresse de béton indestructible
Lorient Morbihan Bretagne
Construite par les Allemands entre 1941 et 1943, la base sous-marine de Lorient est une forteresse de béton conçue pour abriter les redoutables U-Boote. Indestructible, elle a survécu aux bombes alliées, à la chute du Troisième Reich et au temps. Aujourd’hui, elle demeure l’un des vestiges les plus puissants de la guerre sous-marine en Atlantique.
L'HISTOIRE EN BREF
Une base stratégique pour la guerre sous-marine
Le U-Boot Bunker de Lorient
Lorsque les troupes allemandes entrent dans Lorient le 21 juin 1940, la ville devient rapidement un enjeu militaire majeur. Située face à l’Atlantique, dotée d’une rade profonde, d’un port moderne et d’une industrie navale déjà structurée, Lorient offre à la Kriegsmarine une position idéale pour lancer ses sous-marins contre les convois alliés. Moins exposée que Brest ou Saint-Nazaire aux frappes aériennes britanniques, elle séduit l’amiral Karl Dönitz, chef des U-Boote, qui choisit d’y installer son poste de commandement dès le 28 juin. Dès le 7 juillet, un premier sous-marin vient se ravitailler, et les anciennes cales du port de pêche sont rapidement réquisitionnées.
Le 19 avril 1940, Dönitz salue l'arrivée de l'équipage du U37(Par Bundesarchiv, Lien)
Mais les infrastructures existantes ne suffisent pas à soutenir une guerre sous-marine à grande échelle. Hitler ordonne alors la construction de bunkers géants, capables de résister aux bombardements les plus lourds et d’assurer à la fois la protection, l’entretien et la réparation des submersibles. Sur la presqu’île de Keroman, l’Organisation Todt supervise un chantier titanesque, mobilisant plus de 15 000 ouvriers : prisonniers de guerre, requis du Service du travail obligatoire, ouvriers belges, néerlandais, espagnols ou italiens, et même des détenus transférés depuis la colonie pénitentiaire de Belle-Île. Le port devient un véritable carrefour logistique, avec des voies ferrées supplémentaires, des camps d’hébergement disséminés sur tout le territoire, et des convois quotidiens de matériaux vers les chantiers.
Lorient : une ville anéantie et une base qui résiste
La base sous-marine de Lorienten construction en 1942.
Entre 1941 et 1943, trois bunkers — Keroman I, II et III — sortent de terre à un rythme soutenu. Pour cela les ouvriers travaillent jour et nuit. Le K1 accueille cinq alvéoles et un slipway (rampe inclinée) pour tirer les sous-marins à sec, directement depuis la mer. Le K2, avec sept alvéoles, abrite également une caserne pour 1 000 hommes, et un système de transfert mécanique permet de faire circuler les submersibles entre les blocs. Le K3, plus vaste et plus sophistiqué, repose sur des bassins inondables fermés par des portes étanches, avec un système de drainage permettant de mettre les submersibles à sec sans les hisser. La dalle de béton du bloc K3 atteindra 7,5 mètres d’épaisseur, un blindage si massif que même les bombes Tallboy de 5,4 tonnes ne parviendront jamais à percer sa toiture. Au total, près d’un million de mètres cubes de béton seront coulés sur l’ensemble du site. Au sommet de cette forteresse, trois tours de Flak montent la garde pour défendre la base contre les assauts aériens.
Sous-marin U-67, rentrant dans une alvéole de Keroman II (1942).
La base peut accueillir jusqu’à une trentaine de sous-marins en simultané, un chiffre considérable qui témoigne de son ambition stratégique. À partir de 1944, elle est prête à recevoir les ultra-modernes type XXI, conçus pour rester plus longtemps en immersion. Des sous-marins de la marine impériale japonaise, alliée de l’Axe, y font même escale. Incapables de détruire les bunkers, les Alliés adoptent une autre tactique : anéantir la ville pour rendre la base inutilisable. À partir de janvier 1943, Lorient est transformée en un champ de ruines sous les bombardements intensifs. En l’espace de quelques semaines, 3 500 immeubles sont détruits, 40 000 habitants évacués, et la cité historique rayée de la carte. Ce cas est unique en France : une ville littéralement sacrifiée pour atteindre une cible que rien ne pouvait toucher.
L'histoire d'une nouvelle bataille
Derrière les murs épais de la base, une autre bataille se joue. Dès 1941, la résistance s’organise discrètement à l’intérieur même de l’arsenal. Des ouvriers sabotent le matériel, d'autres manipulent les résultats des sondages ou ralentissent volontairement les cadences. L’ingénieur Jacques Stosskopf, responsable de la construction des alvéoles, joue un rôle central dans ce réseau clandestin : il transmet aux services britanniques des informations précises sur les mouvements des sous-marins allemands. Pendant des mois, il agit sous couverture, tout en risquant sa vie à chaque instant. Arrêté en 1944, torturé, puis déporté à Natzweiler-Struthof, il y est exécuté peu avant la Libération. En 1946, son nom est donné à la base, rappelant que même au cœur de l’un des bastions de la Kriegsmarine, la résistance française n’a jamais cessé de lutter. À Lorient, la mémoire de la guerre passe aussi par le courage d’hommes qui ont pris tous les risques.
le 28 août 1944, deux prisonniers de guerre allemands sont emmenés au camp de prisonniers de guerre de la 6e Division pour y être interrogés
Après la reddition de la poche de Lorient le 10 mai 1945, la base est récupérée intacte par la Marine française. Son architecture imposante, ses équipements encore opérationnels et sa situation géographique stratégique en font un site idéal pour accueillir une flottille nationale. Pendant plus de cinquante ans, Lorient devient un haut lieu de la sous-marinade française, avec ses propres sous-marins, ses écoles et ses infrastructures d’entretien. Mais en 1997, le dernier sous-marin quitte Lorient, et le site entre dans une nouvelle ère. Aujourd’hui, le bloc K3 se visite, le sous-marin Flore est devenu musée, et la Cité de la Voile Éric Tabarly fait vibrer la mémoire maritime. Des passerelles et des expositions permettent d’explorer de l’intérieur la démesure des infrastructures, et aussi de transmettre ce qu’il représentait. Là où l’on fabriquait la guerre, on construit désormais du savoir et de l’innovation nautique. Le béton ne protège plus des armes, mais des récits.
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GLOSSAIRE
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U-Boote : Sous-marins allemands utilisés pour attaquer les convois alliés durant la Seconde Guerre mondiale.
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Keroman : Presqu’île de Lorient où ont été construits les bunkers de la base sous-marine.
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Slipway : Rampe inclinée utilisée pour sortir les sous-marins de l’eau et les mettre à sec.
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Organisation Todt : Service de construction militaire nazi chargé de bâtir la base de Lorient.
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Alvéole : Compartiment abrité dans un bunker, servant à protéger et réparer les sous-marins.
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Flak : Défense antiaérienne allemande montée sur les bunkers pour contrer les attaques aériennes.
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Type XXI : Modèle avancé de sous-marin allemand, capable de rester plus longtemps en immersion.
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Service du travail obligatoire (STO) : Réquisition de main-d'œuvre française par l’Allemagne nazie.
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Jacques Stosskopf : Ingénieur français et résistant, exécuté après avoir transmis des informations aux Alliés.
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Tallboy : Bombe britannique de 5,4 tonnes conçue pour percer les bunkers, sans succès à Lorient.
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