
Le palais des Gouverneurs : bastion génois au cœur de Bastia
Pl. du Donjon Bastia Haute-Corse
À Bastia, la Citadelle surplombe la mer et garde en son sein un témoin majeur de l’histoire corse : le Palais des Gouverneurs. Forteresse génoise devenue caserne, puis musée, ce bâtiment raconte à lui seul quatre siècles de domination, de luttes, et de transformations politiques sur l'île.
L'HISTOIRE EN BREF
Une forteresse pour affirmer le contrôle génois
Place du Donjon à Bastia : le palais des Gouverneurs et le palais des Nobles Douze
À la fin du XIVe siècle, la République de Gênes cherche à consolider son emprise sur la Corse, alors source de tensions et de convoitises. Jusqu’alors, le gouverneur génois résidait à Biguglia, à l’intérieur des terres. Mais en 1380, Leonello Lomellini, représentant de l’administration ligure, décide d’installer une nouvelle place forte sur un promontoire rocheux, en surplomb de deux anses maritimes. Cette position, à la fois défensive et tournée vers la mer, permet de mieux contrôler les échanges commerciaux et d’assurer une protection contre les raids barbaresques.
Ce premier bastion — la bastia, ou castello della bastia — marque la naissance de ce qui deviendra Terra Nova, le quartier haut et fortifié de Bastia. Autour de cette forteresse, le bourg s’étend progressivement. Dès les années 1470, une population se fixe sur les hauteurs, tandis que les pêcheurs et commerçants restent en contrebas, à Terra Vecchia, autour du port de Portu Cardu. Cette lente croissance urbaine dessine une ville stratifiée, dominée par les édifices du pouvoir et protégée par les remparts construits dès 1481 sous l’autorité de Tommasino Fregoso.
Un palais entre autorité et tourments
Le palais des gouverneurs
Au fil du temps, le palais devient le centre névralgique du pouvoir insulaire. Sous le gouvernement de Raffaello Grimaldi, en 1488, de vastes chantiers sont lancés : agrandissement des ailes, édification d’une cour de justice, de bureaux administratifs, de chapelles privées, de prisons d’État, et d’une caserne pour la garde du gouverneur. Le tout organisé autour de la célèbre sala maggiore, vaste salle d’audience où se tiennent les grands procès, les cérémonies officielles, et surtout l’élection annuelle du podestat et des Nobles Douze, institutions clés du régime génois.
Peinture du XVIeme siècle d'une bataille opposant les Corses et les Génois.
Mais cette autorité n’est pas sans heurts. Le palais est assiégé en 1553 par Sampieru Corsu et les troupes franco-ottomanes. Il est repris par Gênes peu après, mais les tensions persistent. Au XVIIe siècle, les bastions San Giovanni et San Carlo sont érigés pour renforcer la Citadelle. La grosse tour ronde, le Torrione, accentue l’image militaire du site. Pourtant, malgré ces améliorations, les génois déplacent temporairement le siège du gouverneur à Calvi, plus sûre. Il ne revient à Bastia qu’en 1659.
Dans les sous-sols du palais, les cachots insalubres font frémir. Certaines cellules, baptisées l’Inferno, il Forno, ou la Volpe, sont mentionnées dans les archives. En 1812, 300 prêtres romains y sont enfermés pour avoir refusé de prêter serment à l’Empire. Un témoin évoque une humidité suffocante, des eaux stagnantes, et une lumière filtrée uniquement par des soupiraux. Un climat qui rappelle l’enfermement médiéval dans ce qu’il a de plus oppressant.
Après la cession de l’île à la France en 1768, le palais devient d’abord siège du Conseil Supérieur de la Corse, avant d’être converti en caserne militaire sous le nom de Caserne Watrin. Lors du retrait des troupes allemandes en 1943, les ailes nord et ouest sont dynamitées, endommageant lourdement le bâtiment.
Un musée pour transmettre la mémoire
Musée de Bastia, Les armes de la république de Gênes, la croix de Saint-Georges entourée de deux griffons.
À l’abandon après la guerre, le palais est confié à la ville de Bastia en 1952, qui y installe un musée d’ethnographie corse. En 1977, il est classé monument historique, puis réaménagé en profondeur dans les années 1990. Il rouvre ses portes en 2010, transformé en musée d’histoire de Bastia, dédié à la mémoire plurielle de la ville – urbaine, sociale, artistique et politique.
Faïence ligure (Gênes et Albisola) et toscane (Montelupo), du XVIe au XVIIIe siècle.
Les anciennes salles de commandement deviennent espaces d’exposition : près de 300 œuvres et objets sont répartis sur 19 salles thématiques, de la naissance de Bastia à la peinture religieuse, en passant par l’héritage de Napoléon Ier ou les collections du Cardinal Fesch. Le palais devient ainsi un centre culturel vivant, enraciné dans la citadelle, et accueille désormais des événements phares comme le Festival Creazione, dédié au design et à la création insulaire.
Depuis les jardins du Palais des Gouverneurs, la vue est saisissante : en contrebas, les toits gris de Terra Vecchia, l’église Saint Jean-Baptiste, les quais du vieux port. Au loin, les collines verdoyantes, la mer Tyrrhénienne étincelante et les hauteurs de la Castagniccia. Un panorama total, comme un rappel silencieux que Bastia, de par son relief, a toujours été un point d’observation privilégié de l’histoire — et le palais, son plus solide témoin.
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GLOSSAIRE
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Bastia : ville principale du nord-est de la Corse, fondée autour d’une bastide génoise à la fin du XIVe siècle.
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Bastia (la) : terme génois signifiant « bastion » ou « fortification », à l’origine du nom de la ville.
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Terra Nova : quartier haut de Bastia, fondé par les Génois, abritant la citadelle et le Palais des Gouverneurs.
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Terra Vecchia : quartier bas de Bastia, historiquement occupé par les pêcheurs et commerçants.
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Leonello Lomellini : gouverneur génois ayant fondé la première bastia en 1380.
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Podestat : magistrat élu chargé de l’administration municipale sous le régime génois.
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Nobles Douze : représentants des principales communautés de Haute-Corse, siégeant au sein du pouvoir local génois.
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Sala maggiore : grande salle d’audience où se tenaient les procès et les cérémonies officielles au palais.
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Bastions San Giovanni et San Carlo : ouvrages défensifs construits pour renforcer la citadelle de Bastia au XVIIe siècle.
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Torrione : grosse tour ronde ajoutée au palais pour des fonctions militaires et de surveillance.
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Sampieru Corsu : figure de la résistance corse, ayant mené le siège de Bastia en 1553 contre les Génois.
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Conseil Supérieur de la Corse : instance judiciaire et administrative créée après la cession de l’île à la France.
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Caserne Watrin : nom donné au palais lorsqu’il fut converti en caserne militaire à l’époque française.
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Festival Creazione : événement contemporain organisé dans le palais, valorisant la création artistique insulaire.
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Cardinal Fesch : oncle de Napoléon Ier, grand collectionneur d’art dont certaines œuvres sont exposées au musée.
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Musée d’ethnographie corse : première fonction muséale du palais dans les années 1950.
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Classé monument historique : statut accordé en 1977 pour préserver le bâtiment et son patrimoine architectural.
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