Ascq, le massacre de la nuit des rameaux

79 Rue Mangin Villeneuve-d'Ascq

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Ascq, avant la Seconde Guerre mondiale, était un paisible village de la grande banlieue lilloise, vibrant d'une communauté active où se mêlaient agriculture, petites industries, et loisirs. Cette sérénité fut tragiquement brisée dans la nuit du 1er au 2 avril 1944, lorsque le village fut le théâtre d'un des massacres les plus effroyables de l'occupation allemande en France. En représailles à une action de résistance, les SS exécutèrent 86 habitants, inscrivant Ascq comme symbole de l'atrocité de la guerre.

Ascq : Un Village français

Ascq, un lieu de vie

Avant l'éclatement de la Seconde Guerre mondiale, Ascq se présentait comme un bourg rural en plein essor, situé dans la grande banlieue de Lille. La population d'un peu plus de 3000 habitants s'articulait autour d'une vie communautaire riche et diversifiée. Les nombreuses fermes et petites industries, comme la distillerie Beirnaert-Droulers et la chocolaterie Rousseau, témoignaient d'une activité économique locale florissante.

 La vie culturelle et sportive était animée par des associations dynamiques, proposant football, basket, et gymnastique. Ascq incarnait ainsi l'image d'une communauté soudée, où chaque habitant participait activement au tissu social du village.

L'Invasion Allemande du Nord de la France

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Affiche de propagande allemande en 1940

Le déclenchement de la guerre éclair en mai 1940 marque un tournant brutal pour Ascq et le Nord de la France. L'avancée rapide des troupes allemandes entraîne l'occupation de la région, plaçant Ascq sous le joug nazi. La mise en place de l'Oberfeldkommandantur à Lille, administrant militairement le Nord, et la division du territoire français en zones d'occupation modifie radicalement le quotidien des Ascquois. Les restrictions et les réquisitions deviennent monnaie courante, tandis que la menace de la répression plane sur chaque aspect de la vie.

La Vie entre Restrictions et Résistance

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Tickets de rationnement datant de 1942

La vie à Ascq sous l'occupation est marquée par une série de privations et de contrôles stricts. Les tickets de rationnement, les réquisitions de biens et de services, et la pénurie de carburant bouleversent les habitudes de vie. Cependant, malgré ces conditions difficiles, l'esprit de résistance s'organise.

Des emplois fictifs et de faux papiers sont établis pour sauver les habitants du Service du Travail Obligatoire (STO). Sous la houlette de figures locales comme Gaston Baratte et Léon Chuffart, Ascq devient un foyer de résistance, où les actions de sabotage et les publications clandestines défient l'occupant. Cette période sombre est également marquée par un élan de solidarité remarquable, comme la création d’une soupe populaire et l’organisation de quêtes pour venir en aide aux familles des prisonniers de guerre.

À l'Aube du Désastre

La Résistance et les Sabotages Ferroviaires

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Dès 1943, dans les mois précédant le massacre d'Ascq, les actions de résistance s'intensifient, particulièrement celles visant les lignes ferroviaires cruciales pour l'effort de guerre nazi. Les chemins de fer, artères vitales du transport militaire allemand, deviennent des cibles privilégiées. En sabotant ces voies, les résistants espèrent perturber la logistique ennemie, ralentir le mouvement des troupes et des équipements, et ainsi affaiblir l'efficacité de l'occupation. C’est le groupe de résistance d'Ascq, sous la direction militaire de Paul Delecluse, qui commence à organiser des actions de sabotage en collaboration avec le mouvement Voix du Nord.

Avec des armes parachutées dans l'Avesnois et stockées à Ascq dès février 1944, le groupe réalise son premier acte de sabotage sur la voie ferrée Lille-Bruxelles fin mars. Ces actions visent à interrompre le trafic des trains de marchandises allemands, afin de soutenir l'effort de guerre des Alliés en prévision du débarquement en Normandie et de réduire les bombardements alliés sur les gares locales, qui causent de lourdes pertes civiles. Malgré des débuts où les sabotages peinent à avoir l'impact escompté, l'équipe opte pour une cible plus stratégique en sabotant un aiguillage en gare d’Asq le 1er avril 1944. À l’origine le plan des résistants prévoit le déraillement d’un train de marchandises. Ce qu’ils ignorent ce soir-là, c’est qu’un convoi transportant la 12ème division SS Hitlerjugend, s’est intercalé dans le trafic.

L'Étincelle, le Déraillement du Train

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La 12e Panzerdivision SS Hitlerjugend passée en revue par le maréchal von Rundstedt (janvier février 1944).

Désormais La soirée du 1er avril 1944, va prendre un tournant qui va faire que cette nuit, va devenir la plus tragique de l'histoire d'Ascq. Il est 22h45 quand le train 649.355, transportant des troupes de la 12e Panzerdivision SS Hitlerjugend, devient la cible d'un groupe de résistance locale. Le déraillement est d'abord perçu comme un événement de faible ampleur : les dommages matériels sont limités, et aucun soldat n'est blessé. Trois wagons sont légèrement déviés de leurs rails, affectant quelques véhicules mais sans compromettre la capacité globale du convoi. L'incident, bien qu'irritant pour les SS, semble gérable, avec le mécanicien René Dascotte déjà à l'œuvre pour réparer les dégâts.

 

Cependant, la réaction au sabotage de l'Obersturmführer SS Walter Hauck, révèle une toute autre dimension de l'incident. En dépit de la relative insignifiance des dommages, Hauck est envahi par une colère démesurée. Sa fureur ne découle pas tant de l'acte de sabotage lui-même, que de l'affront qu'il représente à ses yeux. Pour Hauck, c'est une provocation intolérable qui mérite une réponse immédiate et impitoyable. Ignorant la disproportion entre le sabotage mineur et les mesures à prendre, il ordonne à ses hommes de se préparer à une opération punitive contre les habitants d'Ascq.

Nuit d'Horreur à Ascq

Arrestations, Exécutions, et Terreur

La soirée du 1er avril 1944 se transforme en une tragédie inoubliable pour le village d'Ascq, lorsque la réponse des SS au sabotage du train se matérialise en une série d'actes d'une brutalité sans nom. La méthodique organisation du massacre débute par des ordres précis de l'Obersturmführer SS Walter Hauck, déterminé à exercer une vengeance implacable sur les habitants innocents d'Ascq.

Le début des arrestations

Peu après le déraillement, les SS, guidés par une logique implacable de représailles, se déploient à travers le village avec une froideur effrayante. Une fois l'ordre donné, les SS, répartis en plusieurs commandos sous la direction de gradés impitoyables, entament leur sinistre besogne. Ainsi c’est sous l'autorité de gradés SS spécifiques, qu’ils commencent à ratisser les rues principales d'Ascq.  À ce moment-là tout bascule très vite. La tranquillité de la nuit est brisée par le fracas des portes enfoncées, les cris de terreur des familles réveillées en sursaut, et les rafales de mitrailleuses qui annoncent le début des exécutions.

 

Les hommes d'Ascq, jeunes et vieux, sont arrachés à leurs foyers sous les yeux impuissants de leurs proches. Parmi les hommes escortés par des SS, certains se retrouvent à marcher dans la rue, en pantoufles ou pieds nus, souvent vêtus d’un simple pyjama. Ces arrestations, menées avec une précision militaire, visent à regrouper tous les hommes âgés de 17 à 50 ans, les désignant comme otages ou pire, comme cibles à exécuter. Certains comme l'abbé Cousin sont exécutés en pleine rue, alors qu'il tentait de s'interposer pour protéger son voisin des coups des SS. D’autres ne sortiront même pas de chez eux, comme L'abbé Gilleron, qui accueillent à ce moment-là des réfugiés d'Hellemmes. Tous seront fusillés dans le presbytère.

Les exécutions systématiques

Le massacre s'effectue en plusieurs phases, avec des exécutions débutant par des groupes rassemblés au hasard, hommes et femmes mêlés, dans la cabine d'aiguillage du passage à niveau. La violence des SS se manifeste avec une cruauté inimaginable, les otages étant forcés de marcher le long des voies, subissant coups et humiliations, avant que certains ne soient exécutés sous les yeux de leurs proches. Les femmes, renvoyées chez elles, laissent derrière elles les hommes à la merci de leurs bourreaux.

 

La suite des tueries se déroule avec une effroyable organisation, les hommes d'Ascq étant alignés face au train, avant d’être exécutés par petits groupes. Les SS, en dépit d'une résistance sporadique de la part de quelques civils courageux, poursuivent leur sanglante besogne avec une efficacité glaciale. Au fur et à mesure que la nuit avance, les SS se dirigent vers d'autres parties du village, marquant chaque rue avec la trace sanglante de leur passage. La gare d'Ascq devient le théâtre d'une violence inouïe, où même les employés allemands de la Reichsbahn cherchent à se dissimuler. Le chef de gare Victor Carré et son collègue sont battus puis criblés de balles dans un acte de barbarie qui témoigne de la déshumanisation totale des agresseurs.

La maison Roseau : Les SS en embuscade

Le massacre d'Ascq ne se limite pas à ces exécutions en masse. La terreur s'étend jusqu’à la « maison Roseau ». Un commando SS s’y est positionné en embuscade, prêt à abattre les rescapés qui ont réussis à fuir les massacres commis en ville.  Au total une dizaine de personnes seront froidement abattues aux abords de la maison Roseau.

La logique de terreur employée par les nazis, assimilant toute forme de résistance à du terrorisme, justifie à leurs yeux ces actes d'une violence inouïe. Ascq, ce soir-là, devient le théâtre d'une politique de contre-terrorisme par la terreur, visant à anéantir toute velléité de soutien à la Résistance.

Violence et Pillage à tous les étages

Au-delà du massacre par balles, les habitants d'Ascq subissent des actes de violence inouïe, comme cet homme de 85 ans violemment jeté en bas d'un escalier du premier étage. Des violences sur des femmes et jeunes filles : parmi elles Mlle Trakoen et Mme Dewailly avec ses filles, que l’on oblige à assister à l’exécution de leurs proches avant de les renvoyer chez elles. La cruauté exercée par le Kommando Hauer, fait état de violences physiques extrêmes. C’est le cas de Mme Albert qui est frappée, battue et piétinée, ou de la femme d'Alexandre Bouchard qui est brutalisée sous les yeux de ses enfants. Dans une autre maison de rue du Maréchal-Foch, un SS ne trouve pas mieux que d’attraper une petite fille de cinq ans, avant de la projeter violemment au sol.

Pendant qu’ils torturent les habitants d’Asq, les Waffen SS en profitent également pour piller les maisons. Pour eux tout est bon à prendre : linge, nourriture, bonbons, vin, savon, bicyclettes, argent liquide, bijoux, ils n’hésitent pas non plus à dépouiller les victimes. Le tragique bilan aurait pu s'alourdir davantage. Certains habitants, comprenant l'allemand, rapportent avoir entendu des SS parler de mettre le feu au village, une catastrophe qui aurait pu décimer ce qui restait d'Ascq.

Cessation du Massacre : Une Intervention Décisive

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Tableau téléphonique mural de la gare d'Ascq, exposé au Mémorial Ascq 1944

Dans la tourmente de cette nuit tragique du 1er avril, le signal d'alarme est tiré dès 23 h 15. La gendarmerie de Lannoy et la gare de Lille sont rapidement informées de l'acte de sabotage à Ascq. C'est Élie Derache, employé de la gare d'Ascq miraculeusement épargné par les violences, qui, dans un geste de désespoir, contacte à 23 h 30 la permanence téléphonique de la gare de Lille. Au téléphone, il rapporte la fusillade en cours et l'état critique de son collègue, le chef de gare, M. Carré. L'opérateur de Lille, réalisant l'urgence de la situation, alerte immédiatement le service de contrôle allemand, Zugleitung, lequel mobilise toutes les autorités compétentes pour mettre fin à cette horreur. Un médecin allemand est même requis pour venir en aide au chef de gare blessé. La réponse ne se fait pas attendre. À 0 h 40, la Zugleitung confirme l'envoi d'une équipe d'intervention à Ascq. Les gendarmes de Lannoy, arrivés sur les lieux vers 1 h, demandent des renforts à la gendarmerie de Roubaix, tandis que les Allemands du Kommando 908 basé à Ascq, impuissants face à la tournure des événements, informent leurs supérieurs.

L'intervention cruciale vient de la Feldgendarmerie, dépêchée sur les lieux pour mettre un terme aux atrocités. Sous les ordres du lieutenant Fricke, un détachement exige des SS qu'ils cessent immédiatement leurs exactions. Vers 1 h 15, un officier, visiblement irrité, ordonne aux victimes, alignées et prêtes à être fusillées, de regagner leurs domiciles sans délai. Alors que certains membres des Waffen-SS continuent de piller les corps jusqu'à 2 h du matin, le convoi militaire repart finalement en direction de Baisieux. À 3 h 05, la gare de Lille reçoit un message de la Zugleitung annonçant le rétablissement du calme à Ascq, mettant un terme officiel à cette nuit d'épouvante. Le massacre prend fin, laissant derrière lui 86 victimes innocentes. Grâce à cette intervention, 45 hommes, soit échappés soit libérés, survivent et pourront plus tard témoigner des horreurs vécues cette nuit-là.

Le massacre d'Ascq : Réactions et Répercussions

L'Éveil d'Ascq et la Mobilisation des Autorités

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Funérailles des massacrés d'Ascq le 5 avril 1944.

Au lendemain du massacre, Ascq se réveille sous le poids d'un deuil incommensurable. La réaction immédiate des habitants, marquée par une solidarité profonde, se manifeste par un effort collectif pour secourir les survivants, identifier les victimes, et entamer les premières démarches de deuil. Les autorités locales, bien qu'elles aient été prises de court par l'ampleur et la brutalité du massacre, s'activent rapidement pour fournir assistance et soutien aux familles endeuillées, tout en commençant à documenter les atrocités pour les besoins d'éventuelles poursuites judiciaires.

Sous l'Étau de la Censure et l'Impact Médiatique

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L'Allemagne nazie, soucieuse de maintenir une image de puissance et de légitimité, met rapidement en place une censure stricte pour contrôler les informations relatives au massacre. Malgré ces efforts, des bribes d'informations filtrent et parviennent à franchir les frontières, attirant l'attention des médias internationaux. Cependant, l'impact médiatique est atténué par la guerre en cours, qui monopolise l'attention du monde. À l'intérieur de l'Allemagne et des territoires occupés, la propagande nazie travaille à minimiser les faits, les présentant comme une réponse nécessaire à des actes de résistance.

Les Séquelles sur le Village et ses Habitants

Pour Ascq et ses survivants, les conséquences du massacre se révèlent à la fois immédiates et durables. Les familles pleurent leurs morts, tandis que la structure même du village en est ébranlée, avec des maisons endommagées et des biens pillés. Psychologiquement, le traumatisme imprègne la communauté, laissant des cicatrices profondes chez les survivants et chez ceux qui ont perdu des proches. Socialement, le tissu du village est mis à rude épreuve, mais c'est aussi ce même tissu qui se révèle résilient, forgeant un sentiment d'unité et de résistance face à l'adversité. L'élan de solidarité se traduit par la formation de comités d'aide aux victimes et par l'organisation de cérémonies commémoratives, marquant les premiers pas vers une mémoire collective et la quête de justice.

Justice et Mémoire

Le Chemin Vers la Justice : Procès et Répercussions

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Procès du massacre d'Ascq : De gauche à droite, Rasmussen, Jung, Zinsmeister, Wronna et Hauck, août 1949.

Dans les années qui suivent la libération, la quête de justice pour les victimes du massacre d'Ascq prend forme à travers des procès minutieux visant à tenir les responsables comptables de leurs actes. Les poursuites judiciaires aboutissent à la condamnation de plusieurs membres du bataillon SS impliqué, marquant une étape cruciale dans la reconnaissance des souffrances infligées à Ascq.

Toutefois, le chemin vers la justice est semé d'embûches, des grâces et des commutations de peine étant accordées à certains condamnés, suscitant débats et controverses au sein de la communauté et au-delà. Ces décisions soulèvent des questions persistantes sur la justice, la responsabilité et le pardon dans le sillage de telles atrocités.

 

Pérenniser le Souvenir

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Le Tertre des Massacrés

Le massacre d'Ascq n'est pas oublié. Chaque année, des cérémonies commémoratives rassemblent les habitants, les survivants, et des visiteurs venus rendre hommage aux victimes. Des monuments et des plaques commémoratives, érigés dans le village, servent de lieux de recueillement et de mémoire, veillant à ce que les générations futures se souviennent des événements tragiques de cette nuit d'avril 1944. Ces actes de mémoire collective jouent un rôle essentiel dans la cicatrisation des plaies laissées par le massacre et dans la transmission de l'histoire d'Ascq aux jeunes générations.

Ascq : Le Devoir de Mémoire

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Le village d'Ascq porte les cicatrices du passé, mais se tourne résolument vers l'avenir, transformé par l'épreuve du massacre. L'engagement envers le devoir de mémoire se manifeste à travers l'éducation, avec des programmes scolaires incluant l'histoire du massacre comme une leçon sur les dangers de la haine et de l'intolérance. Ascq s'est également jumelé avec d'autres villes ayant vécu des tragédies similaires, créant un réseau de solidarité et de partage autour du souvenir et de la réconciliation. Cette transformation témoigne de la capacité d'une communauté à transcender la tragédie par le souvenir, l'éducation, et un engagement inébranlable envers la justice et la paix.