Rivesaltes, le camp des indésirables du XXeme siècle
avenue Christian Bourquin Salses-le-Château Pyrénées-Orientales
L’histoire du camp de Rivesaltes, ce n'est pas simplement l’histoire d’un lieu qui a été le théâtre de plusieurs chapitres sombres de l'histoire française et européenne, de la Retirada à la Seconde Guerre mondiale et à la guerre d'Algérie.
Cette histoire c’est avant tout celle des bouleversements qui ont secoué la France, l'Europe et l'Afrique du Nord au cours du XXe siècle. L’histoire d’un camp qui devait initialement servir de centre d'entraînement militaire, et qui a finalement vu passer des dizaines de milliers de personnes aux origines et aux nationalités diverses, toutes victimes de politiques d'exclusion.
Aux origines du camp de Rivesaltes
Le camp de Rivesaltes a eu plusieurs vies. À l'origine, il est destiné à devenir un centre d'entraînement pour les forces armées. En effet la plaine sur laquelle le camp est construit avait été identifiée dès les années 1920 comme un site idéal pour les exercices militaires. Le projet de construction voit finalement le jour juste avant la Seconde Guerre mondiale. Et même si le camp n'était pas encore terminé, il commence à accueillir des groupes de soldats coloniaux dès 1939, avant d'être réquisitionné pour accueillir des réfugiés espagnols fuyant la guerre civile.
"La Retirada", le grand exode espagnol
À partir de février 1939, la frontière entre la France et l'Espagne voit passer plus de 450 000 républicains espagnols, fuyant la victoire des forces nationalistes de Franco et la fin de la Seconde République espagnole.
Les autorités françaises n'avaient pas anticipé une telle vague d'exode. En mars, les camps des Pyrénées-Orientales accueillent 264 000 Espagnols, un nombre supérieur à la population totale du département, qui est de moins de 240 000 habitants.
Le temps des « étrangers indésirables »
En 1940, le camp est transformé en centre d'hébergement pour étrangers indésirables. Le camp passe sous le contrôle du ministère de l'Intérieur, qui le transforme officiellement en camp d'internement en janvier 1941. A cette époque le camp de Rivesaltes accueille des Espagnols, des Juifs étrangers, des Tsiganes français, et d'autres ressortissants étrangers. Les conditions de vie y sont extrêmement difficiles, notamment en raison de problèmes sanitaires et d'approvisionnement en nourriture.
Cependant, son rôle va rapidement évoluer, pour devenir un lieu d'internement, puis de déportation, en particulier sous le régime de Vichy.
La Seconde Guerre Mondiale : Un Tournant Sombre
L'Internement Administratif
En novembre 1938, un décret a été émis en France pour l'internement administratif des "étrangers indésirables", visant toute personne considérée comme un « danger potentiel » pour le pays. Avec l'arrivée au pouvoir du régime de Vichy en juillet 1940, cette politique d'exclusion a été généralisée et institutionnalisée, notamment à travers des mesures antisémites.
Le "Drancy du Sud"
Durant cette période, le camp va servir de centre de tri pour la déportation. De nombreux internés seront ainsi transférés vers des camps d'extermination, notamment Auschwitz. La notoriété du camp était telle, qu’il était souvent surnommé le "Drancy du Sud", en référence au camp de Drancy en région parisienne, qui servait de lieu de transit pour la déportation vers les camps d'extermination.
Rivesaltes est devenu un centre clé de cette politique, notamment en 1942, lorsque le camp est devenu le "Centre interrégional de rassemblement des Israélites". Plus de 2 000 Juifs ont été déportés d'ici vers Auschwitz, mais beaucoup ont échappé à ce sort grâce à l'intervention d'organisations humanitaires.
Après la Libération
Après la libération de la France, le camp servira un temps comme centre de détention pour des prisonniers de guerre, et pour les personnes suspectées d’avoir collaborer avec les nazis.
L'Époque de la Guerre d’Algérie : Un Nouveau Chapitre
La guerre d'Algérie a laissé une empreinte indélébile sur l'histoire du camp de Rivesaltes. Avant de partir pour l'Algérie, de nombreuses recrues françaises y ont séjourné brièvement. Le camp a également servi de centre d'incarcération pour les militants et sympathisants du Front de Libération Nationale (FLN) entre janvier et mai 1962.
Le tour des Harkis
Mais c'est en septembre 1962, après la signature des accords d'Évian, que le camp a connu un afflux massif de Harkis, les supplétifs de l'armée française en Algérie. Le camp a été rebaptisé "Centre d'accueil des Français de souche nord-africaine" (FSNA). Les familles, souvent arrivées d'autres centres de regroupement, ont d'abord été logées sous des tentes militaires, face à des conditions météorologiques difficiles et à une infrastructure délabrée.
La détresse morale et l'exil ont ajouté une couche supplémentaire de souffrance à ces conditions de vie déjà précaires. Les conditions de vie pour les Harkis sont abominables. La nourriture est rationnée et souvent insuffisante, les soins médicaux sont quasi inexistants, et l'hygiène est déplorable. Des épidémies de dysenterie et de typhoïde éclatent.
Après 1964
Malgré tous ces malheurs, la vie s'est peu à peu organisée dans le camp. Cependant, l'intégration des Harkis et de leurs familles en France est un véritable parcours du combattant. Souvent rejetés et marginalisés, ils seront longtemps négligés par le gouvernement français.
Plus tard une majorité d’entre eux seront orientés, pour servir de main d’œuvre, vers des secteurs industriels dans le nord de la France. D’autres seront répartis aux quatre coins de la France dans des endroits où des logements auront été spécialement prévus pour eux. Le camp de Rivesaltes a finalement fermé ses portes en décembre 1964, après avoir accueilli près de 21 000 Harkis et leurs familles. Un village civil provisoire a subsisté jusqu'en mars 1965, et les dernières familles ont été relogées en 1977.
Après le départ des Harkis, le camp a continué à servir diverses fonctions, y compris l'hébergement de militaires guinéens et nord-vietnamiens. Il a également abrité un petit centre de rétention administrative jusqu'en 2007.
Le Mémorial de 2015
En 2015, un mémorial conçu par l'architecte Rudy Ricciotti ouvre ses portes. Ce n'est pas un simple monument, mais un lieu de mémoire et d'éducation. Le design du mémorial, sobre et poignant, vise à rappeler les horreurs qui se sont déroulées ici, tout en offrant un espace de réflexion et d'apprentissage.
Le camp de Rivesaltes est un lieu de mémoire complexe, témoin des tragédies humaines engendrées par les conflits du XXe siècle. Son histoire nous rappelle l'importance de ne jamais oublier, afin que les erreurs du passé ne se répètent pas.
Sources :