Aléria 1975 : aux origines du nationalisme corse

1505 Rte de Bastia Aléria

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Le 22 août 1975, des militants corses occupent une cave viticole à Aléria pour dénoncer les injustices économiques et foncières. L’assaut des forces de l’ordre vire au drame. Ce jour-là, une étincelle embrase l’histoire contemporaine de la Corse : celle du nationalisme.

 


L'HISTOIRE EN BREF

Une île en colère : Les racines d’une révolte corse

Dans les années 1960-1970, la Corse vit une crise silencieuse mais profonde. L’agriculture est à l’agonie, les campagnes se vident, les jeunes partent sur le continent faute de perspectives. Dans le même temps, l’État français encourage l’installation de pieds-noirs rapatriés d’Algérie, notamment sur la plaine orientale. Favorisés par la Somivac, ces rapatriés acquièrent terres et domaines viticoles, souvent au détriment des petits exploitants corses. Un sentiment d’injustice grandit : la terre des anciens semble bradée à des intérêts extérieurs.

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 Le 27 août 1975, le chef indépendantiste corse Edmond Simeoni s'adressant à la presse lors des événements de Bastia. 

Les tensions se renforcent en 1973 avec l’affaire des boues rouges : des navires italiens déversent des déchets toxiques de Montedison au large des côtes corses, provoquant indignation et manifestations à Bastia. L’absence de réaction de l’État sert de catalyseur à une conscience politique nouvelle. C’est dans ce contexte que naît l’Action régionaliste corse (ARC), dirigée par le docteur Edmond Simeoni. Son discours dénonce la colonisation interne, la négligence de l’État, la disparition progressive de la langue et de la culture corse. Une base militante se structure. Le moment d’agir se présente.

Aux origines du nationalisme corse contemporain - 1

21-22 août 1975 : l’occupation qui fit basculer la Corse

Le 17 août 1975, lors d’un congrès de l’ARC à Corte, Edmond Simeoni annonce une action spectaculaire. Le choix se porte sur la cave viticole d’Henri Depeille, un pied-noir accusé de fraude massive, symbole d’un système inégalitaire. Le 21 août au matin, une vingtaine de militants investissent la cave, armés de fusils de chasse, utilisés davantage comme instruments de dissuasion que d’attaque. L’objectif est pacifique : alerter l’opinion. Simeoni espère une couverture médiatique et une réunion avec les pouvoirs publics. Il ne prévoit pas l’épreuve de force qui s’annonce.

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 La cave qui a été occupé par un commando de huit hommes, dont Edmond Simeoni, chef du mouvement séparatiste corse.  

Le gouvernement, dirigé par Jacques Chirac, choisit la manière forte. Sur ordre du ministre de l’Intérieur Michel Poniatowski, plus de 1 200 gendarmes et CRS sont déployés autour de la cave. Le 22 août, l’assaut vire à la fusillade : deux gendarmes, Jean-Yves Giraud et Michel Hugel, sont tués, tandis que le militant Pierrot Susini est grièvement blessé. L’émotion est immédiate. Bastia s’embrase. Des émeutes éclatent, un CRS meurt, l’ARC est dissoute. La rupture entre l’île et Paris est actée.

Les Mémoires d'Edmond Simeoni - 1

Aléria : d’un drame local à un mythe fondateur

L’occupation d’Aléria devient rapidement un jalon de l’histoire corse contemporaine. Elle cristallise un sentiment de dépossession et d’humiliation. Si Edmond Simeoni continue de plaider pour un nationalisme non violent, une partie de la jeunesse corse choisit une autre voie. En 1976, le FLNC (Front de libération nationale corse) est fondé, issu d’anciens de l’ARC et de groupes plus radicaux. La Corse entre alors dans l’ère des attentats, des « nuits bleues » et des clandestins.

Avec le temps, Aléria devient un symbole à la fois revendiqué et discuté. Les uns y voient un acte de légitime défense identitaire ; d’autres une rupture dangereuse avec la République. En 2014, une stèle est inaugurée à proximité de la cave. Elle sera vandalisée peu après, preuve que les plaies restent vives. Aujourd’hui encore, Aléria résonne dans les mémoires corses comme un tournant : un moment où la mémoire insulaire s’est dressée contre l’oubli.


Aléria 1975 - Aleria integrale - 1

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GLOSSAIRE

  • Aléria : commune de Haute-Corse où, le 22 août 1975, des militants corses occupent une cave viticole pour dénoncer des injustices foncières ; lieu devenu symbole du nationalisme corse contemporain.

  • Edmond Simeoni : médecin et homme politique corse, fondateur de l’Action régionaliste corse (ARC), figure majeure du nationalisme corse non violent.

  • Somivac : société d’aménagement créée pour moderniser l’agriculture corse, accusée d’avoir favorisé l’implantation de rapatriés d’Algérie au détriment des agriculteurs corses.

  • ARC (Action régionaliste corse) : mouvement politique autonomiste fondé en 1967, prônant la défense des intérêts économiques, culturels et fonciers des Corses.

  • Henri Depeille : propriétaire pied-noir d’une cave viticole à Aléria, accusé de fraude ; sa cave devient la cible symbolique de l’occupation menée par l’ARC.

  • Boues rouges : déchets toxiques issus de l’industrie chimique italienne, déversés en mer près des côtes corses en 1973, provoquant une mobilisation écologique majeure.

  • FLNC (Front de libération nationale corse) : organisation clandestine nationaliste née en 1976 dans la foulée d’Aléria, revendiquant l’indépendance de la Corse par des actions armées.

  • Nuits bleues : série d’attentats nocturnes revendiqués par le FLNC, marquant une nouvelle phase dans la lutte nationaliste à partir de 1976.

  • Michel Poniatowski : ministre de l’Intérieur en 1975, décideur de l’assaut contre la cave d’Aléria, critiqué pour sa gestion musclée de la crise.

  • Jacques Chirac : Premier ministre au moment des faits, dont le gouvernement choisit une réponse de force face à l’occupation de la cave.

Aléria 1975 - Aléria 1975, T1 - 1


POUR SE REPÉRER

 


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