Nicéphore Niepce, l'alchimiste de la lumière
15 D906 Saint-Loup-de-Varennes
« L'histoire de la photographie a commencé par l'inerte, quand le soleil devait achever la course dans le ciel au-dessus de la propriété de Nicéphore Niépce avant que s'impriment enfin sur une plaque de métal l'étrange image de murs éclairés de tous les côtés à la fois et la silhouette noire d'un arbre fruitier figé dans la lumière. » Jérôme Ferrari, écrivain
Imaginez un monde où capturer un moment serait une énigme scientifique, un défi presque alchimique. C'était le cas il y a plus de 150 ans, lorsque Joseph-Nicéphore Niepce, un inventeur hors du commun, a réussi à fixer une image en la figeant dans le temps, en utilisant une chambre obscure et une plaque d'étain sensibilisée avec du bitume de Judée.
À cette époque ce "touche à tout" de génie n'en est pas sa première découverte. Car auparavant Nicéphore Niepce a déjà posé les bases de ce qui préfigurera les moteurs diesel et à injection d'aujourd'hui. À une époque où nos smartphones rendent la photographie presque banale, il est fascinant de se plonger dans l'histoire de cet homme qui a rendu possible l'impossible.
L'Éveil d'un Esprit Curieux
De Joseph à Nicéphore Niepce
Imaginez-vous en Bourgogne, en 1765. C'est là que voit le jour un certain Joseph Niepce, dans une famille aisée où le père exerce des fonctions juridiques et royales. Ce cadre familial lui offre une éducation solide, mais c'est à Angers, sous l'égide des frères oratoriens, que Joseph trouve sa véritable vocation : une fascination pour les sciences, notamment la physique et la chimie.
À 23 ans, une transformation s'opère. Joseph devient Nicéphore et troque les salles de classe pour les champs de bataille de la Révolution française. Mais la vie militaire n'est pas faite pour lui. Des problèmes de santé et une vue déclinante le poussent à reconsidérer ses choix de vie.
Il se retire alors dans la douceur méditerranéenne de Nice avant de revenir à ses racines, dans la maison familiale de Chalon-sur-Saône. C'est dans cette demeure que Nicéphore Niepce va déployer toute l'étendue de son génie inventif, touchant à tout, de la capture de la lumière en photographie à des innovations en mécanique et même en agroalimentaire.
Le Retour aux Sources
Après une décennie d'absence, Nicéphore Niepce revient en Bourgogne à l'âge de 36 ans. Il retrouve sa famille, son terroir, et surtout, son laboratoire d'inventions. C'est dans ce contexte qu'il présente au monde le "pyréolophore", une machine révolutionnaire qui attire l'attention de l'Institut de France. Le 15 décembre 1806, deux éminents scientifiques, Berthollet et Lazare Carnot, lisent un rapport sur cette invention, et le Journal de l'Empire s'empresse de relayer la nouvelle.
À une époque où les machines à vapeur dominaient, cette invention apportait une nouvelle manière de convertir l'énergie. Au lieu de dépendre de la vapeur, le Pyréolophore utilisait la combustion interne pour transformer l'énergie thermique en énergie mécanique. Bien que cette première version du moteur à explosion n'ait jamais été commercialisée, elle marque les esprits et assoit la réputation des frères Niepce comme inventeurs de génie.
En quête d’innovation
Mais Nicéphore ne s'arrête pas là. Il propose également des plans pour moderniser la machine hydraulique de Marly et s'adonne à des expérimentations agricoles, notamment sur la culture du pastel, une plante dont la croissance est encouragée par le blocus continental de l'époque.
Cependant, cette période d'effervescence créative n'est pas sans obstacles. Le climat de guerre qui règne sous le Premier Empire, ainsi que l'inflation galopante, plonge Niepce dans des difficultés financières. Il est contraint de s'endetter, inaugurant ainsi une série d'emprunts qui marqueront sa vie.
L'Aube de la Photographie
Les Expérimentations de Nicéphore Niepce
L'année 1816 marque un tournant dans l'histoire de la science et de l'art : Parallèlement à ses travaux sur "le pyréolophore", Nicéphore Niepce commence ses recherches en "héliographie". Jusque-là, la « camera obscura » était principalement un outil utilisé par les dessinateurs. Ces boîtes équipées d'une lentille projetaient une image inversée de la scène extérieure sur leur fond. Pour ses premiers essais, Niepce place au fond de l'une de ces chambres, des feuilles de papier traitées avec des sels d'argent, qui ont la particularité de noircir à la lumière.
En mai 1816, il réalise une avancée majeure : il parvient à capturer la première image naturelle, une vue depuis sa propre fenêtre. Cependant, l'image est un négatif et n'est pas stable. Exposée à la lumière, elle finit par noircir complètement. Niepce nomme ces premières créations des "rétines".
L’invention de l’Héliographie
Fin 1817, son frère Claude s'envole pour l'Angleterre pour commercialiser leur moteur. De là démarre entre les deux frères, une correspondance qui va durer onze ans, et qui va leur permettre d’échanger sur leurs avancées, qu’elles soient commerciales, technologiques ou scientifiques : « je plaçai l'appareil dans la chambre où je travaille ; en face de la volière, les croisées ouvertes ; je fis l'expérience d'après le procédé que tu connais, mon cher ami et, je vis sur le papier blanc toute la partie de la volière qui pouvait être aperçue de la fenêtre et une légère image des croisées qui se trouvaient moins éclairées que les objets extérieurs. »
Après les essais infructueux avec le chlorure d'argent, Niepce décide d’utiliser du bitume de Judée. Ainsi il découvre qu’en exposant une plaque de cuivre enduite de cette substance au soleil pendant huit heures, puis en la trempant dans de l'essence de lavande, il parvient à créer une image stable. Il nomme ce procédé révolutionnaire "héliographie".
Les Premières Victoires : La reproduction sur verre
Les premières réussites notables de Niepce avec cette technique remontent à 1822. Cette année-là, il parvient à reproduire le portrait du cardinal d'Amboise, mais sur une surface de verre, sans avoir encore recours à la gravure à l'acide. L'année suivante, en 1823, il expérimente non pas avec des plaques métalliques, mais avec des pierres lithographiques.
Un imprimeur de Dijon prend ces pierres pour réaliser des tirages sur papier. C'est à ce moment que Niepce comprend toute la portée de son invention : non seulement il peut reproduire une image par contact, mais il peut également la multiplier grâce aux techniques d'impression de l'époque.
Une réussite coûteuse
En 1824, Nicéphore peut enfin déclarer dans une lettre à Claude : « Nous avons réussi ». Mais cette réussite a un coût. La famille est engloutie sous une montagne de dettes, frôlant les 1,8 million de francs. La vente de propriétés familiales est sérieusement envisagée pour apaiser des créanciers de plus en plus pressants.
Mais rien ne l’arrête car cette année-là, Niepce sait qu’il franchit une nouvelle étape décisive. Il place des pierres lithographiques enduites de bitume au fond d'une chambre obscure et réussit, pour la première fois dans l'histoire, à fixer l'image d'un paysage. Cependant, la technique est loin d'être parfaite : il faut encore plusieurs jours de temps de pose en plein soleil pour obtenir une image. À partir de 1825, Niepce commence à expérimenter avec différents matériaux pour le support de ses images. Il utilise d'abord le cuivre, puis passe à l'étain en 1826, et parvient à créer des images gravées avec ces matériaux.
1827, La première Photographie
La première photographie de Nicéphore Niepce voit le jour en 1827, et elle est l'œuvre. Baptisée "Point de vue du Gras", cette image capture la scène visible depuis le grenier de l'inventeur. Mais l’inventeur ne s'arrête pas là ; Pour lui cette première photographie n’est qu’une des étapes importantes dans ses recherches. Ainsi il continue d’expérimenter diverses résines pour éliminer la nécessité d'un négatif, mais sans succès. C'est en utilisant un support en argent poli et des vapeurs d'iode que ses images atteignent un nouveau niveau de clarté.
La même année, un voyage en Angleterre le confronte à la dure réalité : son frère est mourant, et leur moteur, dans lequel ils avaient placé tant d'espoirs, ne générera aucun profit. Déçu mais pas découragé, Niepce retourne en France et poursuit ses travaux avec une détermination renouvelée. En 1828, il fait une découverte majeure : une nouvelle méthode qui produit des images de qualité supérieure, y compris des demi-teintes. En utilisant de l'argent poli comme support et en exposant l'image au bitume aux vapeurs d'iode, il parvient à créer des photographies en noir et blanc sur métal d'une précision étonnante pour l'époque. Le seul inconvénient ? Le temps de pose qui reste toujours extrêmement long.
Les années Daguerre
La rencontre de deux esprits
En décembre 1827, une rencontre fortuite à Paris entre Niépce et Daguerre scelle le début d'une collaboration fructueuse. Niepce est captivé par le Diorama de Daguerre, tandis que ce dernier avait également flirté avec l'idée de capturer des images à l'aide de poudres phosphorescentes dans une chambre obscure. Leur amitié se renforce lors du retour de Niépce d'Angleterre en février 1828.
En fin d'année 1829, ils scellent leur collaboration par un contrat officiel. Leur mission commune ? Faire de l'héliographie, l'invention de Niépce, une technique commercialisable. Daguerre y apporte son réseau et son flair commercial, et Niépce, son génie inventif. Pour garder leurs travaux sous le sceau du secret, ils utilisent même un code chiffré dans leur correspondance.
Une ombre au tableau
En 1832, leur partenariat donne naissance à une nouvelle technique, le « physautotype ». D’après Daguerre, qui étudie les avancées scientifiques de Niepce, leurs expérimentions respectives n’apportent pas les mêmes résultats. Seule ombre au tableau : Daguerre ne montrera jamais à Niepce les résultats de ses propres expériences.
La mort de Niepce
En 1833, leur collaboration avait déjà subi un brusque coup d'arrêt lorsque Daguerre, affaibli par la maladie, proposa de repousser certains tests. Le 5 juillet 1833, à 19 heures, la vie de Nicéphore Niepce s'arrête brusquement dans sa demeure de Saint-Loup-de-Varennes. Victime d'une hémorragie cérébrale, il est enterré dans le cimetière local. Sa mort soudaine met un terme à sa collaboration avec Daguerre, qui décide de prendre la relève pour commercialiser le procédé photographique qu'ils ont développé ensemble.
L'Ombre de Niepce sur le Daguerréotype
Le 3 juillet 1839, François Arago dévoile au monde le secret du daguerréotype devant la Chambre des Députés. Ce qu'Arago omet de mentionner, c'est que cette révolution photographique est en réalité l'œuvre d'un autre homme, Nicéphore Niepce, qui avait jeté les bases de cette invention quinze ans plus tôt.
Le daguerréotype, qui connaîtra un succès fulgurant jusqu'aux années 1860, utilise une plaque de cuivre recouverte d'argent pour fixer l'image. Malgré sa précision, cette technique est souvent critiquée pour son rendu froid, parfois légèrement amélioré par des touches de couleur. Ces images, uniques et non reproductibles, sont également fragiles et sont donc souvent conservées dans des écrins.
En 1841, la controverse éclate quant à la véritable paternité de cette invention. Isidore Niepce, le fils de Nicéphore, publie un ouvrage intitulé "Historique de la découverte improprement nommée daguerréotype". Il faudra encore quelques années pour que l'honneur et la reconnaissance soient enfin rendus à Niepce. Vers 1853, Abel Niepce de Saint-Victor, un autre membre de la famille, apporte des améliorations à la technique de son oncle et la renomme "héliogravure".
L'Héritage d'un Pionnier
Nicéphore Niepce n'était pas seulement un inventeur ; C’était un visionnaire qui a repoussé les limites de l’impossible. Sa détermination inébranlable à résoudre des problèmes complexes, même face à des défis financiers et personnels, est un témoignage de la puissance de la persévérance humaine. Il nous rappelle que les grandes avancées de l'humanité sont souvent le fruit d'années de travail acharné, de sacrifices et d'une volonté de fer à ne jamais abandonner.
Mais l'histoire de Niepce ne s'arrête pas à sa propre vie. Son héritage perdure à travers chaque cliché pris, chaque moment immortalisé et chaque histoire racontée à travers l'objectif d'une caméra. Il a ouvert la porte à une nouvelle forme d'expression et de documentation, changeant à jamais notre façon de voir et de comprendre le monde qui nous entoure.