Paris, au temps de la cour des miracles

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" Immense vestiaire, en un mot, où s’habillaient et se déshabillaient à cette époque tous les acteurs de cette comédie éternelle que le vol, la prostitution et le meurtre jouent sur le pavé de Paris…" Victor Hugo

La cour des miracles, mythe ou réalité ? Imaginez-vous dans le Paris mystérieux d'autrefois, assister à une scène directement sortie d'un roman : imaginez qu'ici, chaque jour à la tombée de la nuit, les ruelles étroites et tortueuses de la capitale, se retrouve envahis soudainement par le tout Paris du vol, du crime et de l'arnaque. 

Bienvenue dans la cour des miracles ! Ici, c'est le royaume des mendiants et autres vagabonds, qui simulent des handicaps le jour, révélant, "comme par miracle", leur vraie nature le soir. Cette atmosphère presque théâtrale resta pendant longtemps presque ignorée. La Cour des Miracles et son réseau de quartiers où les lois semblaient ne pas exister, sont même devenus un lieu quasi mythique sous l'Ancien Régime.

La cour des miracles, un lieu irréel

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La Esmeralda dansant

Ce phénomène singulier s'est surtout développé au XVIIe siècle, époque des rois Louis XIII et Louis XIV. Des personnes démunies, quittant les campagnes sans espoir de travail ou issues des classes les plus pauvres des villes, affluaient vers ces cours. La capitale française en possédait environ une douzaine, mais la plus emblématique était la Grande Cour des Miracles, rendue célèbre par le roman de Victor Hugo, "Notre-Dame de Paris". Hugo, jouant avec l'histoire, la situe au XVe siècle, mais en réalité, son apogée se situe bien plus tard.

Le Roi des gueux

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Gravure représentant le "grand Coësre" en 1663

Au sein de cette Cour des Miracles, les mendiants organisaient leur propre société secrète. Ils avaient un système hiérarchique élaboré : au sommet, un roi, appelé « le grand Coësre » ou « roi de Thunes », régnait sur tous les mendiants de France. Les "cagous", ses lieutenants, géraient les mendiants de chaque province, leur apprenant les ficelles du métier. Plus bas dans la hiérarchie, les "archisuppôts", souvent d'anciens étudiants, enseignaient l'argot et étaient exempts de payer des impôts au roi.

 

A chacun son histoire

 

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Henri Sauval, historien contemporain de cette époque, s’attacha à décrire cette société de mendiants et de voleurs en la divisant en catégories, dans lesquelles chaque groupe avait son art et son astuce :

  • Les "narquois" ou "drilles", faux soldats aux blessures de guerre imaginaires.
  • Les "rifodés", se faisant passer pour des victimes de la foudre.
  • Les "malingreux" et "francs-mitoux", simulant maladies et crises d'épilepsie.
  • Les "piètres", prétendant être estropiés.
  • Les "marfaux" ou "marjauds", des souteneurs dans l'ombre.
  • Les "marcandiers", faux marchands ruinés par divers malheurs.
  • Les "capons", mendiants des cabarets et des lieux publics, souvent complices dans des jeux de hasard.
  • Les "courtauds de Boutange", autorisés à mendier uniquement en hiver.
  • Les "millards", spécialistes du vol de provisions.
  • Les "orphelins", jeunes garçons feignant d'être gelés même en été.
  • Les "hubains", munis de faux certificats de guérison de la rage.
  • Les prostituées, jouant un rôle dans ce théâtre urbain.
  • Le "ragot" et le "chef-coësre", dirigeants de cette pègre hétéroclite

 

Les 2 chefs d’œuvres

Pour devenir un "coupeur de bourses" aguerri, le chemin était semé d'épreuves. Sauval relate un rituel d'initiation impliquant deux "chefs-d’œuvre". Le premier consistait à couper une bourse suspendue sans éveiller l'attention, sous peine de châtiment sévère. Le second était un vol public, réalisé sous les yeux de tous, où le novice devait subir les coups de la foule sans dénoncer ses complices. C'était un monde dur, où la survie dépendait de l'adresse et du courage.

La fin du miracle

Gabriel-Nicolas de la Reynie

Gabriel Nicolas de la Reynie

En 1667, un événement majeur se produit : Louis XIV, par l'édit de Saint-Germain-en-Laye, crée la charge de lieutenant général de police de Paris. Le roi choisit Gabriel Nicolas de La Reynie pour ce poste crucial. La Reynie, un homme dont la gravure, inspirée par Pierre Mignard, révèle l'autorité et la détermination, allait changer le visage de Paris.

Selon Horace Raisson, écrivain et journaliste du XIXe siècle, La Reynie tente une approche directe et audacieuse. Il se rend lui-même dans le Fief d'Albye, l’un des principaux repaires de mendiants. Sa tactique ingénieuse consiste à faire ouvrir six brèches dans l'enceinte de Charles V, brèches derrière lesquelles il fait placer un grand nombre d’hommes, afin de simuler une armée très importante. Puis, avançant seul sur la place, il annonce, porte-voix en main, un ordre royal : l'évacuation immédiate du lieu, menaçant de pendre ou d'envoyer aux galères les derniers récalcitrants. Cette stratégie provoque une fuite en masse des truands.

Cet épisode, bien que fréquemment cité, n'apparaît dans aucun document avant 1844. De ce fait de nombreux historiens se contredisent sur la façon de se serait déroulé l’évacuation de la cour des miracles. Ce qui est certain en revanche c’est que La Reynie, par ses actions déterminées, a contribué à l'effacement de ces bastions de la marginalité, ouvrant la voie à une nouvelle ère pour Paris, celle de l'ordre et de la sécurité.

Un lointain souvenir

Aujourd'hui, seuls les noms des rues de la Grande-Truanderie et de la Petite-Truanderie, situées entre le boulevard de Sébastopol et le Forum des Halles, gardent la mémoire de ces lieux mystérieux et effervescents qu'étaient les Cours des Miracles.

Cette Cour des Miracles était plus qu'un simple rassemblement de marginaux ; c'était une société complexe, avec ses règles, ses codes, et ses défis. Chaque individu y jouait son rôle, dans une danse de survie et de débrouillardise, sous le regard indifférent de la grande ville.