
Le Festival de Cannes : rêves, luttes et légendes sous les projecteurs
Palais des festivals et des congrès de Cannes 1 Bd de la Croisette
« Le but du Festival est d’encourager le développement de l’art cinématographique sous toutes ses formes et créer et maintenir un esprit de collaboration entre tous les pays producteurs de films. » Dans le réglement de 1948.
Chaque printemps, le Festival de Cannes devient la scène du plus grand rendez-vous du cinéma mondial. Ici, sous les projecteurs, la Croisette vibre d’autant de coups d’éclat que de légendes. Cannes : entre fastes, scandales et passions, le cinéma y réinvente sa propre histoire.
L'HISTOIRE EN BREF
La naissance du Festival de Cannes
Affiche de Leblanc pour le Festival international du film de Cannes en 1946.
Lors de la Mostra de Venise de 1938, sous la pression d’Hitler et de Mussolini, le jury attribue les principaux prix à des films de propagande allemands et italiens, humiliant au passage les délégations française, britannique et américaine, qui quittent la salle en signe de protestation. En réaction, l’idée d’un festival du film libre germe chez René Jeanne, historien du cinéma, et Émile Vuillermoz, critique musical et cinématographique. Soutenus par Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts, et Philippe Erlanger, diplomate et homme de lettres, ils imaginent un rendez-vous international où le cinéma serait célébré sans entraves. En 1939 Les préparatifs s’accélèrent : Louis Lumière, pionnier du cinéma, accepte de présider le jury, les délégations se pressent à Cannes, les affiches sont prêtes… mais la guerre éclate.
Il faudra attendre 1946 pour voir enfin la ville de Cannes, assoiffée de lumière, accueillir le tout premier Festival international du film. Vingt et un pays se rassemblent pour une fête unique, où les orchestres militaires donnent le ton. Malgré une organisation bricolée et des projections parfois chaotiques, la Croisette vibre d’une euphorie collective inédite. On se presse pour apercevoir Rita Hayworth, Jean Cocteau, ou pour découvrir l’incroyable diversité de films venus du monde entier : Brève rencontre de David Lean (Royaume-Uni), La Bataille du rail de René Clément (France), Rome, ville ouverte de Roberto Rossellini (Italie), Le Poison de Billy Wilder (États-Unis), ou encore La Symphonie pastorale de Jean Delannoy.
Gina Lollobrigida photographiée avec un groupe de marins du 'Richelieu' sur la Croisette lors de sa venue au Festival de Cannes 1955.
Au fil des années 50, Cannes invente ses codes. En 1955 naît la Palme d’or, récompense qui fait rêver la planète cinéma. Sur la Croisette, le glamour explose : en 1953, Brigitte Bardot fait sensation en posant sur la plage, créant une émeute de photographes et de badauds. Simone Signoret, Sophia Loren, Alain Delon traversent la ville comme des divinités du grand écran. Mais Cannes, c’est aussi la tension sous les paillettes : rivalités Est-Ouest, sélections explosives, et polémiques retentissantes. En 1960, La Dolce Vita de Fellini est sifflé et hué, avant d’entrer dans la légende. Cannes est déjà le lieu où le cinéma ne laisse jamais indifférent. Le palmarès de 1939, resté dans l’ombre pendant plus de soixante ans, ne sera officiellement dévoilé et célébré qu’en 2002, lors d’une cérémonie qui répare enfin l’histoire.
Cannes : coups d’éclat, révolutions et mutations
André Malraux au Festival de Cannes, en mai 1960.
À la fin des années 1950, l’arrivée d’André Malraux au ministère des Affaires culturelles insuffle un vent de modernité sur Cannes. Il ouvre la compétition à la jeune génération — François Truffaut, Alain Resnais —, encourage l’audace et provoque scandales et débats autour de films comme La Religieuse, Hiroshima mon amour ou La Dolce Vita. Sous son impulsion et celle de Robert Favre Le Bret, Cannes attire stars mondiales et chefs-d’œuvre. En 1959, Malraux officialise le Marché du film, affirmant le rôle du festival comme moteur de l’industrie du cinéma.
Cinéastes réunis lors des événements de mai 1968 avant l'interruption du festival.
(De gauche a droite) : Claude Lelouch, Jean-Luc Godard, Francois Truffaut, Roman Polanski.
Mai 1968. La France bouillonne, Cannes vacille. Le Festival s’ouvre dans l’insouciance, mais la colère des étudiants et cinéastes gronde. François Truffaut, Jean-Luc Godard, Claude Lelouch, Louis Malle, Roman Polanski et d’autres prennent d’assaut le Palais, interrompent les projections, s’affrontent aux organisateurs. Lors de la projection de Peppermint Frappé, Géraldine Chaplin s’accroche aux rideaux pour empêcher la séance, Truffaut harangue la salle, Godard reçoit une gifle au milieu de la confusion. Après des débats houleux et la démission des membres du jury, le Festival est clos sans palmarès. Pour la première fois, Cannes devient une tribune où la contestation réinvente le cinéma. De ce séisme naissent la Quinzaine des Réalisateurs (1969), la Semaine de la Critique, puis Un Certain Regard. Cannes s’ouvre aux jeunes talents, à toutes les voix, aux marges et aux mondes.
La grève des photographes lors de la montée des marches du Festival de Cannes, en mai 1983.
En 1983, le nouveau Palais des Festivals, massif et décrié (“le Bunker”), devient le cœur d’un festival qui n’en finit plus de grandir. Les marches rouges deviennent une scène à part entière, où se jouent gloire, provocation et culte de l’image. La même année, Maurice Pialat reçoit la Palme d’or pour Sous le soleil de Satan. Le jury se divise, les tensions montent, le film est conspué par une partie du public. Pialat, imperturbable, lève le poing et lance : « Vous ne m’aimez pas ? Je ne vous aime pas non plus ! » Quelques années plus tôt, le réalisateur turc Yilmaz Güney s’évade de prison pour venir chercher la Palme d’or pour Yol. Cannes devient le théâtre de toutes les audaces : ici, le cinéma déborde de l’écran et se joue aussi dans la vie réelle.
Planète Cannes, diversité et défis du futur
Cannes 1993. Harvey Keitel, Holly Hunter, la réalisatrice Jane Campion et Sam Neill. Jane Campion est en compétition avec son film « La leçon de Piano »
Dans les années 90-2000, Cannes devient le plus grand laboratoire d’expériences cinématographiques du monde. La Palme d’or consacre pour la première fois une femme, Jane Campion (La Leçon de piano, 1993), puis un cinéaste chinois, Chen Kaige (Adieu ma concubine). Les cinémas asiatiques, africains, sud-américains et les indépendants américains rayonnent sur la Croisette. Quentin Tarantino électrise Cannes avec Pulp Fiction (1994) : 25 minutes d’ovation, jury divisé, critique bousculée… Les frères Dardenne, La Haine de Kassovitz, Fahrenheit 9/11 de Michael Moore (Palme d’or 2004), Entre les murs de Laurent Cantet, et bien d’autres questionnent la société, dérangent, ou révèlent ses failles.
Marianne Slot, Haifaa al-Mansour, Kirsten Stewart, Léa Seydoux, Khadja Nin, Ava DuVernay, Cate Blanchett, Agnès Varda, Céline Sciamma et Jeanne Lapoirie défilent sur le tapis rouge pour protester contre le manque de cinéastes féminines honorées tout au long de l'histoire du festival.
En 2018, 82 femmes montent les marches, emmenées par Cate Blanchett et Agnès Varda, pour exiger l’égalité et briser le plafond de verre : un tournant symbolique dans l’histoire du festival. Cannes doit aussi faire face à la révolution du numérique : la polémique enfle autour de Netflix et de la diffusion des films hors des salles. En 2020, la pandémie impose l’annulation du Festival : une première depuis la guerre. Mais la Croisette ne renonce jamais : dès 2021, Cannes revient, plus vivant que jamais. Dans la dernière décennie, la Palme d’or récompense La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche, Parasite de Bong Joon-ho (premier film coréen sacré), The Artist de Michel Hazanavicius, et d’autres qui marquent l’histoire du cinéma mondial.
Les starlettes Patricia Kerr et Marie Louise Watson brandissent un totem publicitaire pour le lancement de Spoutnik lors du Festival du film de Cannes, le 9 mai 1958.
À Cannes, le cinéma n’est pas qu’un art. C’est une fête électrisée par le combat. À travers ses éditions, ses succès et ses scandales, Cannes est devenu bien plus qu'un simple festival : il incarne l'âme même du septième art, son essence, ses ambitions et ses enjeux. Qu'adviendra-t-il du festival dans les années à venir ? Nul ne le sait, mais une chose est certaine : Cannes continuera de nous surprendre et d'éblouir le monde, à la manière d'un film dont on ne se lasse jamais.
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GLOSSAIRE
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Palais des Festivals : Bâtiment emblématique de la Croisette à Cannes, lieu principal du festival où se tiennent les projections, la montée des marches et la cérémonie de clôture.
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Croisette : Boulevard mythique en bord de mer à Cannes, centre névralgique de la vie du festival et symbole du glamour cannois.
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Festival international du film (Festival de Cannes) : Manifestation cinématographique annuelle créée en 1946, considérée comme la plus prestigieuse au monde.
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Palme d’or : Récompense suprême décernée au meilleur film de la sélection officielle depuis 1955.
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Sélection officielle : Ensemble des films en compétition pour la Palme d’or et les autres prix du festival.
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Quinzaine des Réalisateurs : Section parallèle indépendante du festival, créée en 1969, destinée à découvrir de nouveaux talents et à promouvoir la diversité du cinéma mondial.
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Semaine de la Critique : Section parallèle fondée en 1962 par le Syndicat français de la critique de cinéma, mettant en avant les premières et deuxièmes œuvres de cinéastes.
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Un Certain Regard : Section officielle lancée en 1978, valorisant des œuvres singulières ou novatrices, en marge de la compétition principale.
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Marché du film : Plus grand marché professionnel du cinéma, créé en 1959, où producteurs, acheteurs et vendeurs du monde entier concluent des accords pendant le festival.
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Montée des marches : Rituel quotidien et hautement symbolique du festival, où équipes de films, stars et invités gravissent le tapis rouge du Palais des Festivals.
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Jury : Groupe de personnalités du cinéma chargé d’attribuer les prix aux films en compétition lors de chaque édition.
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Cinéaste indépendant : Réalisateur ou producteur travaillant en dehors des grands studios, souvent mis à l’honneur à Cannes (ex : Quentin Tarantino, les frères Dardenne…).
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Section parallèle : Sélection indépendante organisée en marge de la sélection officielle (Quinzaine, Semaine de la Critique…).
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Scandale cannois : Événement marquant ou polémique survenu pendant le festival, souvent lié à un film, une déclaration ou un geste provocateur.
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Parité / Montée des femmes : Mouvement et revendications pour l’égalité hommes-femmes, incarnés notamment par la montée des marches des 82 femmes en 2018.
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Réalité et fiction : Thématique centrale à Cannes, le festival étant un lieu où les frontières entre cinéma et événements réels sont fréquemment brouillées.
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