
Notre-Dame de Reims, cathédrale des sacres et des symboles
Pl. du Cardinal Luçon Reims Marne
Le 19 septembre 1914, Reims s’embrase. La cathédrale, joyau des rois de France, s’effondre sous les flammes d’un bombardement allemand. Mais ce monument ne meurt pas : il renaît, siècle après siècle, comme un miroir de la France. De Clovis à Charles X, des tailleurs de pierre médiévaux à un milliardaire américain, Notre-Dame de Reims raconte mille ans de grandeur, de chute et de résurrection.
L'HISTOIRE EN BREF
Aux origines d’un sanctuaire royal
Relief du tombeau d'Hincmar, détruit en 1793.
Avant d’être une cathédrale gothique, Reims fut un site sacré. Au Ve siècle, saint Nicaise érige une église sur les vestiges de thermes gallo-romains. Une cathédrale carolingienne lui succède, consacrée en 862 par Charles le Chauve. Mais tout commence vraiment vers 498 : Clovis, roi des Francs, est baptisé à Reims par l’évêque Remi. Selon la tradition rapportée par Hincmar, une colombe descend du ciel avec la Sainte Ampoule, une huile miraculeuse. Ce geste donne naissance à la monarchie sacrée.
La légende rémoise de la colombe est un emprunt direct aux Évangiles avec le baptême du Christ dans le Jourdain où le Saint-Esprit est apparu sous forme d'une colombe.
Un an jour pour jour après l’incendie qui ravage la cathédrale romane, le 6 mai 1211, l’archevêque Aubry de Humbert pose la première pierre d’un édifice nouveau. En soixante ans à peine, Jean d’Orbais, Jean le Loup, Gaucher de Reims et Bernard de Soissons élèvent un chef-d’œuvre de l’art gothique. Longue de 150 mètres, aux tours hautes de 83 mètres, la cathédrale est pensée pour magnifier les sacres. Grâce à ses arcs-boutants aériens, la lumière pénètre à flots par les vitraux géants, rendant la nef presque irréelle. La façade, avec ses trois portails sculptés, déroule une iconographie ambitieuse : Passion, Jugement dernier, et vie de la Vierge. Tout en haut, la galerie des rois représente Clovis dans sa cuve baptismale, entouré de Remi, de Clotilde, et de la colombe sainte.
Le théâtre des sacres et des symboles
La cathédrale de Reims au moment du sacre de Charles X.
Ici, la pierre sert le pouvoir. À partir de Louis VIII en 1223, vingt-cinq rois de France sont sacrés dans la cathédrale de Reims, jusqu’à Charles X en 1825. Le choix de Reims n’est pas anodin : c’est l’affirmation d’un droit divin hérité de Clovis. Tout dans l’architecture célèbre cette souveraineté — hauteur, harmonie, abondance de statues. Le gothique rémois n’est pas seulement une prouesse spirituelle, c’est un outil politique.
Mais au détour des portails et des corniches, un autre langage apparaît. Celui du peuple. Des chimères, des serpents, des chauves-souris, des sagittaires décochant leurs flèches peuplent le bestiaire médiéval. L’un d’eux, perché sur le transept sud, visait autrefois un cerf de bronze — symbole de la justice épiscopale — transformé lors des sacres en fontaine à vin. Derriere l’apparat, une ironie discrète.
L'ange sourire
Et puis, il y a l’Ange au Sourire. Posé à l’entrée du portail nord, ce visage du XIIIe siècle incarne la grâce du gothique. Décapité en 1914, il devient une icône nationale, brandie comme preuve du « crime de Reims ». Rebaptisé “Sourire de Reims”, restauré dans les années 1920, il incarne aujourd’hui encore la résilience d’un patrimoine blessé mais debout.
Des flammes à la résurrection
La façade de la cathédrale de Reims après les bombardements de 1914.
Le 19 septembre 1914, la cathédrale est prise pour cible. Le bombardement allemand provoque l’incendie de la charpente en chêne du XVe siècle. Les 400 tonnes de plomb fondent et s’écoulent en pluie brûlante. L’édifice ne s’effondre pas, mais en sort mutilé. L’Ange est décapité. Reims, ville des rois, devient symbole des ruines de la guerre.
La charpente restaurée de Notre-Dame de Reims
En 1924, un geste venu d’Amérique ravive l’espoir : John D. Rockefeller Jr. finance plus d’un tiers des travaux de restauration. L’architecte Henri Deneux conçoit alors une charpente pionnière en ciment armé, inspirée des techniques de Philibert Delorme : pièces légères, ininflammables, moulées sur place et facilement assemblables. Une prouesse technique, un tournant pour la sauvegarde du patrimoine.
Charles de Gaulle et Konrad Adenauer en juillet 1962.
Reconstruite, la cathédrale devient un lieu de réconciliation. En 1962, le général de Gaulle et le chancelier Adenauer y assistent à une messe symbolique : Reims scelle la paix entre deux nations. En 1991, l’UNESCO inscrit l’édifice au patrimoine mondial. Car Notre-Dame de Reims n’est pas seulement un chef-d’œuvre de pierre : c’est une cathédrale d’histoires, de cicatrices et de renaissances.
Note aux lecteurs
Les livres que nous vous proposons à travers l'article sont vendus en affiliation avec nos partenaires commerciaux. Ce sont les commissions que nous touchons sur chaque vente, qui permettent de financer Ystory dans la construction de cette mémoire collective multimédia.
GLOSSAIRE
-
Sainte Ampoule : fiole contenant une huile sacrée censée avoir été apportée du ciel par une colombe lors du baptême de Clovis ; elle servira pendant des siècles à oindre les rois de France lors de leur sacre.
-
Hincmar : archevêque de Reims au IXe siècle, auteur de la tradition légendaire de la Sainte Ampoule ; il a ancré Reims comme lieu du sacre royal.
-
Aubry de Humbert : archevêque de Reims qui, après l’incendie de 1210, lance en 1211 la construction de la cathédrale gothique actuelle.
-
Art gothique : style architectural né au XIIe siècle caractérisé par l’élévation verticale, les voûtes en ogive, les arcs-boutants et les vitraux ; à Reims, il sert aussi à magnifier la monarchie.
-
Galerie des rois : série de statues monumentales ornant la façade de la cathédrale, représentant les souverains de France, avec Clovis au centre de la scène du baptême.
-
Bestiaire médiéval : ensemble de créatures fantastiques (chimères, serpents, sagittaires, etc.) sculptées dans la pierre, exprimant les peurs et les messages cachés de l’époque.
-
Ange au Sourire : statue emblématique du portail nord de la cathédrale, décapitée en 1914, devenue symbole de résilience et icône culturelle et politique de la ville.
-
Charpente en ciment armé : structure innovante réalisée entre 1924 et 1926 par l’architecte Henri Deneux, pour remplacer l’ancienne charpente en bois détruite pendant la guerre. Légère, ignifugée, démontable, elle constitue une première mondiale dans ce contexte patrimonial.
-
John D. Rockefeller Jr. : mécène américain ayant financé une grande partie de la restauration de la cathédrale après les destructions de la Première Guerre mondiale.
-
Henri Deneux : architecte en chef des Monuments historiques, responsable de la reconstruction de la cathédrale, inventeur d’une charpente moderne inspirée des principes de Philibert Delorme.
-
Philibert Delorme : architecte de la Renaissance dont les principes d’assemblage modulaire inspireront Henri Deneux pour la reconstruction du toit de Reims.
-
Sacre : cérémonie religieuse par laquelle un roi de France est oint et reçoit la légitimité divine de régner ; Reims fut le principal lieu de sacre de la monarchie française.
-
UNESCO : organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture ; elle a inscrit la cathédrale de Reims au patrimoine mondial en 1991.
POUR SE REPÉRER
APPEL À CONTRIBUTION
Ce sujet mérite sûrement un article complet !
Vous connaissez son histoire par cœur ?
Alors venez nous la raconter en détail ! Nous vous invitons à rejoindre notre communauté de passionnés, en venant partager vos connaissances sur Ystory. En participant à ce projet, vous contribuerez non seulement à faire vivre l'histoire des sujets qui vous passionnent, mais aussi à enrichir la base de données de notre mémoire collective !