
1925 : Paris impose l’Art déco au monde
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Paris, 28 avril 1925. Devant le Grand Palais, une foule élégante s’agglutine. Ministres, décorateurs, curieux : tous veulent découvrir ce que la France a préparé depuis plus d'une décennie. Sur le pont Alexandre III, transformé en rue des Boutiques, les vitrines scintillent. Le luxe a rendez-vous avec la modernité.
En 1925, Paris accueille l’Exposition internationale des arts décoratifs de Paris, événement majeur du design moderne du XXe siècle. Dans une ville transfigurée, la France impose le style art déco comme vitrine de son savoir-faire, de son industrie et de son goût. Une déclaration culturelle, autant qu’un acte politique.
L'HISTOIRE EN BREF
UN MANIFESTE ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ
Derrière la splendeur de ses pavillons, l'exposition de 1925 est d'abord un projet stratégique. La France, meurtrie par la guerre, veut affirmer sa suprématie dans le domaine des arts et de l'industrie. Les arts décoratifs, longtemps considérés comme mineurs, sont appelés à devenir le fer de lance de cette ambition. Portée par le ministère du Commerce, l'exposition impose une règle radicale : aucun pastiche du passé ne sera admis. Seules les œuvres originales, modernes et créatives auront leur place dans les 23 hectares du parcours.
Exposition internationale des Arts décoratifs sur l’esplanade des Invalides en 1925.
Née en 1911 mais repoussée à cause de la guerre, l'exposition est enfin inaugurée le 28 avril 1925. Entre le Grand Palais, le pont Alexandre III, l'esplanade des Invalides et les berges de la Seine, une ville éphémère surgit : tours monumentales, fontaines lumineuses, pavillons exotiques. Symbole de cette transformation, le pont Alexandre III devient la "rue des Boutiques", où les grands magasins parisiens rivalisent de faste et d’inventivité. « Le luxe est partout, jusqu’à l’éblouissement », note un chroniqueur de L’Illustration en mai 1925.
LE TRIOMPHE DE L’ART DÉCO FACE AUX AVANT-GARDES
Dessin de l'architecte Robert Mallet-Stevens de son «Pavillon du Tourisme » pour l'Exposition Internationale des Arts Décoratifs de 1925.
L’exposition est dominée par le courant dit de la "tradition modernisée". Jacques-Émile Ruhlmann, ensemblier emblématique, conçoit le fastueux Pavillon du collectionneur — un des pavillons les plus admirés de l’Exposition de 1925 : parquet marqueté, meubles en bois précieux, tapisseries d'Aubusson. Un hommage minutieux au savoir-faire à la française. À ses côtés, les pavillons du Printemps, du Bon Marché ou des Galeries Lafayette confirment le rôle clé des grands magasins dans la diffusion de l’art déco et d’un design industriel naissant, accessible mais sophistiqué. Elles marient raffinement, fonctionnalité et sens du spectacle.
Le pavillon des magasins du Louvre.
Pourtant, derrière ce triomphe du goût établi, une autre modernité se profile. Le Corbusier et Pierre Jeanneret construisent le Pavillon de l’Esprit nouveau, manifeste de leur vision plus radicale : un module d’habitation en béton, standardisé, équipé de meubles casiers métalliques, sans décor superflu. Une révolution silencieuse. Autre geste radical : la tour du Pavillon du tourisme de Robert Mallet-Stevens, haute de 35 mètres, épure de béton sans ornement. Ils annoncent une architecture neuve : fonctionnelle, standardisée, sans luxe ni ornement. Les critiques ne manquent pas : trop austère, trop "inhumaine" pour certains visiteurs, ce modernisme peine alors à convaincre. « L’art de 1900 fut du domaine de la fantaisie, celui de 1925 est du domaine de la raison », écrit alors le peintre Charles Dufresne.
UN HÉRITAGE MONDIAL ET CONTRASTÉ
Eclairage de l'exposition des arts décoratifs sur l'esplanade des Invalides.
Héritage majeur du design du XXe siècle, l’Exposition internationale des arts décoratifs de 1925 est aussi un triomphe populaire, avec plus de 16 millions de visiteurs. Elle offre à la France une vitrine de sa capacité à conjuguer tradition et modernité. Le style art déco devient le langage du goût français à travers le monde : Casablanca, New York, Shanghai ou Buenos Aires verront surgir des immeubles, des halls d’hôtels ou des cinémas directement inspirés des pavillons de 1925. À New York, le Chrysler Building prolonge cette esthétique avec ses flèches géométriques ; à Casablanca, l’architecture coloniale s’en empare dans un autre contexte culturel.
Vue depuis l’Empire State Building, vers le Chrysler Building et le pont Queensboro à New York.
Mais l’exposition laisse aussi une impression ambivalente. Certains intellectuels critiquent une esthétique jugée ostentatoire, sans programme social, déconnectée des réalités ouvrières. Fait révélateur : les Allemands, non invités officiellement pour raisons diplomatiques, organisent dès 1927 à Stuttgart une exposition où triomphera cette fois le modernisme rationnel. Pourtant, le legs de 1925 est immense : l’exposition a donné un visage à l’art déco, mais aussi ouvert un débat mondial sur ce que doit être l’art dans un monde moderne. Design, urbanisme, architecture : tout s’en trouve transformé.
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GLOSSAIRE
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Art déco : style décoratif et architectural né au début du XXe siècle, marqué par la géométrie, le luxe, la symétrie et une esthétique modernisée. L’exposition de 1925 en est le manifeste.
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Exposition internationale des arts décoratifs de Paris : nom officiel de l’événement tenu à Paris en 1925 pour promouvoir les arts décoratifs modernes et leur lien avec l’industrie.
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Tradition modernisée : courant esthétique dominant à l’exposition, réinterprétant les styles classiques français dans une veine contemporaine.
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Pavillon du collectionneur : pavillon emblématique conçu par Jacques-Émile Ruhlmann, reflet du luxe et du savoir-faire français.
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Pavillon de l’Esprit nouveau : structure conçue par Le Corbusier et Pierre Jeanneret, pensée comme une unité d’habitation moderne et fonctionnelle.
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Architecture moderne 1925 : style architectural en rupture avec l’ornement, fondé sur la standardisation, le béton, la fonctionnalité. Défendu par Le Corbusier et Mallet-Stevens.
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Design industriel Art déco : objets du quotidien (mobilier, luminaires) pensés dans une esthétique art déco, souvent produits en série, à mi-chemin entre artisanat et industrie.
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Modernisme : mouvement artistique et architectural prônant la fonctionnalité, l’usage de matériaux industriels, et le rejet de l’ornement.
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Ensemblier : créateur ou décorateur conçoit un espace dans sa globalité (architecture, mobilier, objets), garantissant une cohérence d’ensemble. Ruhlmann en est un exemple majeur.
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Pont Alexandre III : axe principal de l’exposition de 1925, transformé en « rue des Boutiques » pour mettre en valeur les créations des grands magasins.
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Héritage Art déco : postérité mondiale de l’exposition, visible dans les formes architecturales et décoratives à New York (Chrysler Building), Casablanca, Shanghai, Miami…
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