L'arrestation de Jean Moulin : La chute d'un héros français

Rédigé le 20/06/2024
Ystory


« Trahi, fait prisonnier, affreusement torturé par un ennemi sans honneur, Jean Moulin mourrait pour la France, comme tant de bons soldats qui, sous le soleil ou dans l'ombre, sacrifièrent un long soir vide pour mieux remplir leur matin . » Mémoires de guerre : L'appel : 1940-1942, Charles de Gaulle, éd. Pocket, 2010 

L'arrestation de Jean Moulin le 21 juin 1943 à Caluire-et-Cuire, près de Lyon, marque l'un des moments les plus tragiques de la Seconde Guerre mondiale en France. Jean Moulin, préfet révoqué par le régime de Vichy et délégué du général de Gaulle, était devenu le symbole de la Résistance française. Sa capture par la Gestapo, dirigée par Klaus Barbie, soulève encore aujourd'hui de nombreuses questions sur les trahisons et les erreurs qui ont conduit à ce dénouement. Cet article retrace les événements qui ont précipité la chute de Jean Moulin et analyse les multiples facettes de cette histoire complexe.


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Une période trouble de notre histoire

La France sous Occupation

Bundesarchiv Bild 101I-247-0775-38, Paris, Straßenszene

En juin 1940, la France subit une défaite écrasante face à l'Allemagne nazie. Le pays est divisé en deux zones : la zone occupée, sous contrôle direct des Allemands, et la zone libre, administrée par le régime de Vichy dirigé par le maréchal Pétain. Cette période est marquée par la répression brutale des résistants et la collaboration active de Vichy avec les occupants.

 

La Résistance française se forme progressivement en réaction à cette occupation et à la politique de collaboration. Divers mouvements de résistance émergent, chacun avec ses propres idéologies et méthodes. Cependant, ces groupes sont initialement désorganisés et manquent d'unité, ce qui limite leur efficacité contre l'occupant allemand.

L'émergence de la Résistance

Régions résistance

Organisation régionale de la résistance en France

Les premiers mouvements de résistance, tels que Combat, Libération et Franc-Tireur, sont fondés par des patriotes déterminés à lutter contre l'occupant nazi. Ces groupes mènent des actions de sabotage, de renseignement et de propagande, mais ils opèrent souvent de manière isolée. La nécessité d'unifier ces efforts devient de plus en plus évidente au fur et à mesure que la répression s'intensifie.

 

C'est dans ce contexte que Jean Moulin entre en scène. Ancien préfet révoqué pour avoir refusé de collaborer avec le régime de Vichy, Moulin rejoint Londres en octobre 1941 et rencontre le général de Gaulle. De Gaulle le charge d'une mission cruciale : unifier les différents mouvements de résistance sous une seule bannière.

Jean Moulin : Unificateur de la Résistance

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« Je ne savais pas que c’était si simple de faire son devoir quand on est en danger. » Jean MOULIN (1899-1943), Lettre à sa mère et à sa sœur, 15 juin 1940, Vies et morts de Jean Moulin (1998), Pierre Péan.

Jean Moulin était un homme aux talents multiples, combinant des carrières dans l'administration publique et les arts. Avant la guerre, il occupait le poste de préfet, une position qui faisait de lui l'un des plus jeunes fonctionnaires à ce niveau en France. Parallèlement à sa carrière administrative, il cultivait une passion pour les arts, signant ses œuvres sous le pseudonyme de "Romanin". Cette dualité dans sa vie professionnelle et artistique reflétait un esprit créatif et déterminé, profondément engagé dans les valeurs républicaines.

 

En janvier 1942, après un séjour à Londres où il rencontra le général de Gaulle, Jean Moulin est parachuté en France. Sa mission était claire : unifier les divers mouvements de résistance éparpillés à travers le pays. Sa tâche n'était pas facile. La Résistance française était fragmentée, chaque groupe opérant de manière indépendante, souvent avec des objectifs et des stratégies divergentes.

 

Cependant, grâce à son charisme et à ses talents de négociateur, Moulin parvient à créer le Conseil National de la Résistance (CNR) en mai 1943. Cet organisme devient le point de rassemblement des principaux mouvements de résistance ainsi que des représentants des partis politiques et des syndicats. Cette unification est un exploit remarquable, qui renforce considérablement la capacité de la Résistance à mener des actions coordonnées contre l'occupant nazi. Le CNR permet également de structurer les efforts pour une France libre, préfigurant la reconstruction politique et sociale du pays après la guerre.

Les événements avant l'arrestation de Jean Moulin

Tensions Internes et Conflits de Leadership

Conseil National de la Résistance

Septembre 1944, les membres du Conseil National de la Résistance autour de leur président Georges Bidault

Bien que Jean Moulin ait réussi à unifier de nombreux mouvements de résistance sous le Conseil National de la Résistance (CNR), des tensions internes persistent. Les désaccords idéologiques et les rivalités personnelles compliquent cette unification. Parmi les voix critiques, Pierre de Bénouville, membre influent du mouvement Combat, exprime ouvertement son mécontentement face au contrôle exercé par De Gaulle et Moulin sur la Résistance. Ces dissensions internes affaiblissent la cohésion du mouvement et rendent ses membres vulnérables aux infiltrations de la Gestapo.

 

Un autre personnage central dans ces tensions est René Hardy, également membre du mouvement Combat. Hardy est arrêté par la Gestapo le 8 juin 1943, mais est libéré dans des circonstances suspectes. Sa participation non autorisée à la réunion de Caluire, malgré des règles strictes de sécurité, suscite des interrogations sur ses motivations et sa loyauté. Ces événements contribuent à créer un climat de méfiance et de division au sein de la Résistance, rendant la tâche de Jean Moulin encore plus ardue.

La Traque de la Gestapo

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Klaus Barbie en 1944

La Gestapo, sous la direction de Klaus Barbie à Lyon, intensifie ses efforts pour démanteler les réseaux de résistance. Les arrestations se multiplient, et les Allemands réussissent à infiltrer plusieurs cellules de résistants. L'arrestation de René Hardy permet à la Gestapo de mettre la main sur des informations précieuses concernant les activités des résistants et leurs membres clés.

 

Les documents saisis lors de l'arrestation de Hardy révèlent l'existence de plusieurs boîtes aux lettres utilisées par la Résistance pour échanger des messages. L'une de ces boîtes, située rue Bouteille à Lyon, se révèle particulièrement utile pour la Gestapo. Les informations extraites de ces documents permettent aux Allemands de planifier l'arrestation de plusieurs figures importantes de la Résistance, dont Jean Moulin.

L'arrestation de Jean Moulin

La Réunion de Caluire

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La maison du Docteur Goujon à Caluire-et-Cuire

Le 21 juin 1943, une réunion cruciale doit se tenir chez le docteur Frédéric Dugoujon à Caluire-et-Cuire, une banlieue tranquille de Lyon. Organisée par Jean Moulin, cette réunion vise à discuter de la succession de Charles Delestraint, chef de l'Armée Secrète, récemment arrêté par la Gestapo. Parmi les participants figurent des membres éminents de la Résistance : Raymond Aubrac, André Lassagne, Henri Aubry, Albert Lacaze, Émile Schwarzfeld et René Hardy. Hardy, présent malgré des règles de sécurité strictes, est une figure controversée dont la présence suscite des tensions.

 

Les participants arrivent progressivement à la maison du docteur Dugoujon, située au 32 rue du Docteur Rollet. Jean Moulin, utilisant le pseudonyme "Max", arrive en retard, accompagné de Raymond Aubrac et Émile Schwarzfeld. Faute de connaître le mot de passe convenu pour l'entrée, ils sont dirigés vers la salle d'attente par Marguerite Brossier, la gouvernante du docteur Dugoujon. Ce malentendu mineur se révèlera tragique, car il retarde leur participation à la réunion et les isole des autres résistants présents dans la maison.

L'intervention de la Gestapo

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La salle d'attente du Docteur Goujon

Peu après l'arrivée de Jean Moulin, la maison est subitement encerclée par la Gestapo, sous la direction de Klaus Barbie. Barbie, surnommé plus tard "le boucher de Lyon" pour ses atrocités, mène personnellement l'opération. Les résistants, surpris et désorientés, sont pris au dépourvu. Les agents de la Gestapo font irruption dans la maison, armes au poing, et neutralisent rapidement toute tentative de résistance. La précision et la brutalité de l'assaut laissent peu de doute sur la préparation minutieuse de l'opération.

 

La rapidité de l'attaque ne laisse aucune chance aux résistants de s'organiser ou de fuir. Klaus Barbie, ayant obtenu des informations cruciales sur la réunion, dirige ses hommes avec une efficacité impitoyable. Les participants, réunis dans diverses pièces de la maison, sont rapidement localisés et maîtrisés. L'irruption de la Gestapo transforme la maison du docteur Dugoujon en scène de chaos et de terreur, marquant un tournant dramatique dans l'histoire de la Résistance française.

Une arrestation brutale

Torture chain, dog leash, SS skull visor cap, figurine of SS man with dog, etc. Lofoten Krigsminnemuseum (WW2 memorial Museum, Gestapo room) Svolvær, Norway 2019-05-08 DSC00167

La scène est chaotique. Les résistants sont surpris, immobilisés et ligotés sous la menace des armes. Marguerite Brossier, la gouvernante du docteur Dugoujon, est témoin de l'arrestation et assiste impuissante à la capture des résistants. Selon les témoignages, l'assaut est rapide et brutal, ne laissant aucune chance aux présents de s'échapper ou de réagir efficacement. La gouvernante, dans la confusion, tente de comprendre la situation, mais est elle-même rapidement maîtrisée par les agents de la Gestapo.

 

René Hardy, étrangement, parvient à s'échapper, ce qui renforce les soupçons de trahison à son égard. Sa fuite précipitée contraste avec le sort des autres résistants, qui sont emmenés manu militari au siège de la Gestapo à Lyon. Hardy prétend avoir sauté par une fenêtre du premier étage, mais cette version des faits est largement contestée et contribue à la suspicion autour de son rôle dans l'arrestation. Le reste des résistants, y compris Jean Moulin, sont transportés à Lyon pour être interrogés et torturés, marquant le début d'une épreuve terrible pour ces héros de la Résistance.

Les témoins de l'arrestation de Jean Moulin

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Raymond et Lucie Aubrac, le couple mythique de la résistance

Les témoignages des survivants de Caluire, notamment Raymond Aubrac et André Lassagne, offrent un aperçu poignant des événements. Lassagne décrit l'irruption violente de la Gestapo et la manière dont ils ont été ligotés et emmenés. Raymond Aubrac, qui échappe de justesse à la déportation, témoignera plus tard de la brutalité de Klaus Barbie.

 

Le docteur Dugoujon, témoin involontaire de la tragédie, se souvient de la confusion et de la peur qui régnaient ce jour-là. Ses récits soulignent l'inhumanité des méthodes de la Gestapo et le courage des résistants face à l'adversité.

Les Conséquences de l'Arrestation

L'Interrogatoire sous la torture de Jean Moulin

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Table d'instruments de torture de la gestapo

Après son arrestation, Jean Moulin est transféré à la prison de Montluc, un lieu tristement célèbre pour les sévices infligés aux prisonniers. Utilisant le faux nom de Jacques Martel, Moulin parvient à masquer son identité pendant quelques jours. Cependant, sous la torture, Henri Aubry révèle son véritable nom à la Gestapo.

« Pendant sept heures j'ai été mis à la torture physiquement et mentalement. Je sais qu'aujourd'hui je suis allé jusqu'à la limite de la résistance. Je sais aussi que demain, si cela recommence, je finirai par signer. » Premier combat, Jean Moulin, Les Éditions de Minuit, 1947 

Les tortures infligées par Klaus Barbie et ses hommes sont d'une brutalité inouïe. Malgré les sévices, Jean Moulin refuse de trahir ses camarades. Son état de santé se détériore rapidement, mais avec courage et détermination il réussit à garder le silence.