
La Bête du Gévaudan : trois ans de peur et de sang
Lespialou Auvers Haute-Loire
De 1764 à 1767, la Bête du Gévaudan sème la terreur dans les campagnes du sud du Massif central, tuant plus de cent personnes. Pendant trois ans, entre hurlements dans les bois et prières dans les églises, un monstre sans nom fait vivre l'impensable aux habitants de la Margeride. À Auvers, le monument de Marie-Jeanne Valet rappelle qu’en ces terres, l’histoire vraie se conjuguera toujours avec la légende.
L'HISTOIRE EN BREF
Le Gévaudan : une bête, des morts, et mille prières
Gravure du XVIII eme intitulée : »Bête furieuse que l'on suppose être une Hyène... »
Juin 1764. Jeanne Boulet, une jeune fille de 14 ans, est retrouvée morte près de Langogne. C’est la première victime officielle d’une longue série. Dans les trois années qui suivent, plus de 230 personnes, principalement des femmes et des enfants, sont attaquées. Plus d’une centaine périssent, souvent démembrées, parfois décapitées. Les campagnes de la Margeride vivent dans l’angoisse d’une créature que nul ne parvient à identifier avec certitude. Décrite comme plus grande qu’un loup, au pelage roussâtre rayé de noir, dotée d’une raie dorsale et d’un cri étrange, la Bête frappe toujours en solitaire, parfois à visage découvert, toujours avec une sauvagerie inhabituelle. Alors que les curés évoquent un châtiment divin et que l’évêque de Mende organise des processions pour conjurer le mal, la peur devient totale.
Dessin de 1765 envoyé à la Cour représentant l'animal féroce qui ravage le Gévaudan depuis 1764. (Archives départementales de l'Hérault)
La France est en crise : humiliée par la guerre de Sept Ans, traversée de tensions sociales et de misère, elle cherche des boucs émissaires. Le Gévaudan, enclavé et profondément croyant, devient le théâtre d’une épidémie de peur. La peur devient virale avant l’heure. La Bête s’infiltre dans les conversations, les sermons, les éditos. À travers les journaux, elle envahit Paris. François Morénas, chroniqueur avide de sensations, en fait une hydre de papier. Le Gévaudan, terre oubliée, devient l’épicentre d’un scandale d’État. À Versailles, Louis XV, déjà affaibli, voit là une opportunité de restaurer son autorité en pourchassant un fantôme. Il envoie ses dragons, ses louvetiers, et même son porte-arquebuse personnel, François Antoine. Septembre 1765. Ce dernier tue un loup géant dans les bois des Chazes. Naturalisé, envoyé à la cour, l’animal est présenté comme la Bête. Mais les attaques reprennent quelques semaines plus tard.
Héroïsme local : Marie-Jeanne Valet et Jean Chastel
Le combat de Jeanne Jouve pour sauver ses enfants. Gravure publiée dans le Journal des chasseurs, octobre 1839 - septembre 1840.
Le 11 août 1765, près de Paulhac, une jeune bergère de 19 ans nommée Marie-Jeanne Valet croise le monstre sur un pont. Plutôt que de fuir, elle affronte la créature et la blesse d’un coup de lance au poitrail. La Bête s’enfuit, laissant derrière elle une survivante devenue héroïne. Dans les villages, on la surnomme la "Jeanne d’Arc du Gévaudan". Son acte de bravoure est relayé jusqu’à la cour, mais ne suffit pas à mettre fin aux massacres. Un an et demi plus tard, les attaques reprennent, notamment dans la forêt de la Ténazeyre. Dense et inhospitalière, elle devient le refuge supposé de la Bête. Un lieu de brume et de sang.
Garvure de la Bête féroce nommée « Hiène » à l'époque.
Juin 1767. Une nouvelle battue est organisée à l’initiative du marquis d’Apcher. Le 19 juin, dans la commune d’Auvers, au lieu-dit la Sogne, un homme entre dans la légende. Jean Chastel tire sur une créature massive et l'abat. Son histoire n’est pas celle d’un simple paysan. On raconte qu’il avait déjà croisé la Bête, peut-être même tenté de la chasser bien avant. Dans les villages, certains disent qu’il avait dressé la Bête. D’autres jurent qu’il l’a abattue avec une balle bénie, fondue à partir d'une médaille de la Vierge Marie. Ce qu’on sait, c’est qu’après lui : plus rien. Plus un cri. Plus une attaque. Plus un mort. Le cadavre de l'animal est envoyé à Saugues puis à Clermont pour autopsie. Le rapport du docteur Marin évoque une bête étrange, au corps anormal, au système digestif vide, comme si elle n’avait rien mangé depuis plusieurs jours. D'autres témoignages racontent que l’on aurait retrouvé des restes humains non digérés dans son estomac, un détail qui reste à discuter puisque le rapport a été perdu, mais qui contribue à alimenter davantage le mythe terrifiant de la créature.
Fin des attaques : le début de la légende
L’affaire est classée, mais jamais refermée. L’histoire de la Bête du Gévaudan devient l’un des premiers faits divers de masse de l’histoire française, mêlant faits réels, fantasmes populaires et récupération politique. Au XIXe siècle, l’abbé Pourcher en fait une grande chronique religieuse, exaltant les figures vertueuses du peuple face à la sauvagerie. Au XXe siècle, les thèses se multiplient : loup géant, hyène échappée, lion, tueur psychopathe aidé d’un chien dressé, manipulation d’État… Aucun consensus n’émerge.
Le combat de Marie-Jeanne Vallet contre la bête du Gévaudan. Sculpture de Philippe Kaeppelin, à Auvers en Haute-Loire.
Le monument érigé à Auvers en hommage à Marie-Jeanne Valet n’est pas qu’une statue : c’est ici qu’on lève les yeux vers la jeune bergère figée dans le bronze, lance au poing. Une jeune fille devenue le symbole d’un peuple rural abandonné, mais digne ; du courage féminin exceptionnel face à l’horreur ; et d’un mystère irrésolu, qui, trois siècles plus tard, continue de hanter les mémoires et d’alimenter les récits. La Bête a cessé de tuer. Mais pas d’exister.
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GLOSSAIRE
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Bête du Gévaudan : créature mystérieuse responsable de plus de cent morts entre 1764 et 1767 dans les campagnes de la Margeride, en Lozère et Haute-Loire. Sa véritable nature reste inconnue.
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Margeride : région montagneuse et boisée du Massif central, théâtre principal des attaques. Elle comprend des zones isolées où la peur s’est enracinée.
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Marie-Jeanne Valet : bergère de 19 ans qui blessa la Bête en 1765 près de Paulhac. Devenue symbole du courage populaire, elle est surnommée la « Jeanne d’Arc du Gévaudan ».
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Jean Chastel : chasseur et paysan du Gévaudan, qui tua l’animal suspecté d’être la Bête le 19 juin 1767 à Auvers. Il est entouré d’une aura de mystère (balle bénie, lien supposé avec la Bête…).
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François Antoine : porte-arquebuse du roi Louis XV, envoyé pour tuer la Bête. Il abat un grand loup aux Chazes en 1765, initialement présenté comme la créature coupable.
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Abbaye Pourcher : abbé du XIXe siècle qui rassembla de nombreux témoignages et récits sur la Bête, participant à sa légendarisation.
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Forêt de la Ténazeyre : vaste forêt dense et sauvage où la Bête aurait trouvé refuge. Lieu emblématique dans l’imaginaire local.
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Rapport Marin : rapport d’autopsie aujourd’hui perdu, attribué au docteur Marin, qui décrivait une bête au corps étrange et au système digestif vide de restes humains.
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Scandale d’État : expression désignant la manière dont l’affaire de la Bête est devenue un problème national, embarrassant le pouvoir royal à une époque de crise.
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Loup géant / animal exotique : hypothèses zoologiques avancées pour expliquer la nature de la Bête (loup démesuré, hyène, lion, ou animal dressé par l’homme).
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Fait divers de masse : l’affaire de la Bête est l’un des premiers événements en France à faire l’objet d’un traitement médiatique de grande ampleur, suscitant fascination et peur collective.
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