
Les colonies de vacances : entre liberté et éducation
La Turballe Loire-Atlantique Pays de la Loire
Ah les colonies de vacances ! Elles ont marqué des générations d’enfants français, de la mer à la montagne, des années 1880 à nos jours. Nées d’un idéal sanitaire et social, les colos sont devenues un laboratoire de la République, où se mêlent apprentissage, jeu et vie collective. Leur histoire éclaire celle d’une société en quête d’égalité et de liberté pour ses plus jeunes citoyens.
L'HISTOIRE EN BREF
Le temps béni des colonies de vacances
Dans la France de la fin du XIXe siècle, les villes s’étouffent dans une promiscuité insalubre. L’industrialisation a entassé les familles dans des logements précaires, et les enfants des classes populaires grandissent privés d’air pur, de nature et de répit. En Suisse, en 1876, le pasteur Hermann Bion organise le premier séjour pour enfants pauvres. En France, c’est le pasteur protestant Théodore Lorriaux qui, en 1882, place 72 enfants parisiens dans des familles de paysans à Mont-Javoult dans l’Oise. Ce village deviendra quelques années plus tard un lieu emblématique des débuts du mouvement.
Edmond Cottinet, fondateur des premières colonies de vacances en France.
Mais c’est en 1883 qu’Edmond Cottinet, militant laïque, inaugure une véritable rupture : il fonde la première colonie de vacances collective. Les enfants ne sont plus dispersés dans des foyers, mais vivent ensemble, encadrés par des adultes, au sein d’une vie collective régie par des règles communes. Ce n’est pas un simple souffle de répit, mais un projet éducatif structurant. Les premières colonies s’ouvrent à l’initiative d’associations, de paroisses, d’instituteurs. L’enfant y apprend à être libre au sein du groupe, à respecter les autres, à s’exprimer, à devenir un citoyen. Une école buissonnière, mais républicaine.
Des trains pleins d’enfants et des chansons autour du feu
Le 22 août 1948, à la gare de l'Est, ces orphelins des cheminots parisiens leur ont dit au revoir avant de partir pour un camp d'été en Forêt-Noire.
Au début du XXe siècle, les colonies se déploient. En 1906, des enfants de Douai sont envoyés dans l’Aisne dans le cadre des premières initiatives associatives, dans des villages où les familles reçoivent des instructions strictes : ne pas faire travailler les enfants, ne pas leur donner de café ou de vin, leur offrir du repos, du lait, et du soleil. On veut les protéger, les fortifier. Après la Grande Guerre, les colonies accueillent les pupilles de la Nation, orphelins de guerre et enfants démunis. L’État s’implique peu à peu. En 1923, un congrès à Laon, présidé par le ministre Charles Reibel, promeut les colonies comme un levier de reconstruction morale et sanitaire.
1950, des petites filles faisant leur toilette en plein air dans une colonie de vacances des Rousses, dans le Jura.
Mais c’est en 1936, avec l’arrivée du Front populaire et les congés payés, que les colonies prennent une ampleur inédite. Les enfants partent en train, valise en carton et foulard noué autour du cou, vers la mer, la montagne ou la campagne. Les comités d’entreprise organisent les séjours. Encadrés par des moniteurs, souvent jeunes instituteurs ou étudiants militants, les colons vivent au rythme des chants, des jeux collectifs, des veillées et des explorations. Les centres, d’abord rudimentaires, deviennent des bâtiments conçus pour accueillir, encadrer et éduquer des groupes d’enfants à grande échelle, dans une architecture pensée pour l’éducation populaire. C’est l’âge d’or.
La colo : une fabrique de souvenirs
Pantin juillet 1933, un groupe d'enfants accompagnés de leurs parents se préparent à partir en colonies de vacances.
Dans l’après-guerre, les colonies s’institutionnalisent. L’État, les syndicats, les œuvres laïques investissent dans des centres permanents. Les colonies deviennent un pilier de l’éducation populaire, au même titre que l’école ou les MJC. On y apprend la vie collective, la responsabilité, l’autonomie, la solidarité. Des pédagogies innovantes y sont expérimentées, les animateurs sont formés, les programmes s’enrichissent. Pour des millions d’enfants, c’est la première fois qu’ils voient la mer, qu’ils dorment loin des parents, qu’ils s’ouvrent au monde. Au début des années 1960, près de 4 millions d’enfants partent chaque année en colonie.
Dans l’Oise en 2001, deux petites filles préparent des cartes postales pendant une colonie de vacances de la SNCF.
Mais à partir des années 1980, les colonies entament leur déclin. Les vacances en famille se généralisent, les séjours raccourcissent, les formats se diversifient. En 1973, l’appellation officielle « colonie de vacances » est d’ailleurs remplacée par celle de séjour de vacances, dans le cadre plus large des accueils collectifs de mineurs. Pourtant, elles n’ont jamais totalement disparu.
Paris 1963, des enfants sont rassemblés devant une gare avant leur départ en colonie de vacances.
Aujourd’hui encore, elles existent, sous d’autres formes : thématiques, plus courtes, parfois plus spécialisées. Et dans la mémoire collective française, elles demeurent une madeleine d’enfance, un moment suspendu de liberté partagée, de fraternité, d’apprentissage. Un patrimoine éducatif à part entière, qui raconte comment la République a aussi grandi dans les champs, les forêts et les cabanes de toile.
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GLOSSAIRE
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Colonie de vacances : séjour organisé pour les enfants ou adolescents, en dehors du cadre familial, généralement pendant les vacances scolaires, à des fins récréatives, éducatives et sociales.
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Séjour de vacances : appellation officielle depuis 1973 pour désigner les anciennes colonies de vacances, dans le cadre des accueils collectifs de mineurs.
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Accueil collectif de mineurs (ACM) : dispositif réglementaire français encadrant les structures de loisirs et de vacances pour enfants et adolescents.
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Éducation populaire : mouvement visant à transmettre des savoirs et des valeurs démocratiques en dehors de l’école, notamment via les loisirs, les colonies, les MJC, etc.
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Front populaire : coalition de gauche arrivée au pouvoir en 1936, à l’origine des premiers congés payés, et d’une politique de soutien à l’éducation par les loisirs.
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Congés payés : droit acquis en 1936 permettant aux travailleurs de partir en vacances tout en étant rémunérés, ce qui a favorisé le développement des colonies de vacances.
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Comité d’entreprise (CE) : structure créée dans les entreprises pour représenter les salariés, souvent responsable de l’organisation des colonies de vacances pour les enfants du personnel.
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Moniteur / Animateur : personne encadrant les enfants en colonie, souvent formée à l’animation et à la pédagogie de groupe (via le BAFA, notamment).
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BAFA (Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Animateur) : diplôme non professionnel permettant d’encadrer des enfants en centres de vacances ou de loisirs.
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CEMÉA (Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Éducation Active) : mouvement d’éducation populaire fondé dans les années 1930, influent dans la formation des animateurs de colonies.
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Pupilles de la Nation : statut attribué aux orphelins de guerre, souvent bénéficiaires de séjours en colonie après 1918 et 1945.
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Patrimoine éducatif : ensemble des lieux, objets, pratiques et récits liés à l’histoire de l’éducation, dont font partie les colonies de vacances.
POUR SE REPÉRER
Dès 1880, la pointe de Pen Bron accueille les premières colonies de vacances.
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