Le naufrage du Léopoldville : 763 morts à 9 kilomètres du port de Cherbourg

2 All. du Président Menut Cherbourg-en-Cotentin

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Le 24 décembre 1944, le transport de troupes Léopoldville est torpillé à quelques kilomètres de Cherbourg. À bord, plus de 2 000 soldats américains. Le naufrage fait 763 morts. L’histoire, longtemps classée secret défense, n’a laissé aucune trace visible dans la ville. Jusqu’à aujourd’hui.


L'HISTOIRE EN BREF

Les black panthers rappelés en urgence

SS Lèopoldville

Le S.S. Leopoldville avant 1936 

Décembre 1944. Alors que l’Europe libérée s’apprête à célébrer Noël, Hitler lance sa dernière offensive dans les Ardennes. À Dorchester, dans le sud de l’Angleterre, la 66e division d’infanterie — les « Black Panthers » — est en permission. Mais l’ordre tombe : un télégramme signé d’Eisenhower ordonne leur redéploiement immédiat sur le front. La traversée se fera sur un vieux paquebot belge, le Léopoldville. Construit en 1928 pour relier Anvers au Congo, il a été réquisitionné par les Alliés. Depuis juin, il a effectué 24 traversées entre Southampton et Cherbourg, transportant au total 53 217 soldats alliés vers le continent.

66th Infantry Division shoulder sleeve insignia

Insigne de la 66eme division d'infanterie américaine. 

Le capitaine belge, Charles Limbor, ne parle pas anglais. Pas un mot. L’équipage est composite, sans langue commune : Belges, Congolais, Britanniques. Le convoi, escorté par plusieurs destroyers et frégates alliés, quitte tant bien que mal Southampton à 9h15. À bord, les soldats jouent, écrivent, vomissent. La mer est froide, le silence pesant. Au loin, les côtes françaises se dessinent. Cherbourg n’est plus qu’à neuf kilomètres.

Ardennes 1944, le va-tout d'Hitler - 1

Le Léopolville est torpillé

Bundesarchiv DVM 10 Bild-23-63-65, U-Boot U 36

Un sous-marin allemand, un"U-Boot", durant la seconde guerre mondiale.

À 17h54, le choc. Une torpille frappe la cale n°4. À l’intérieur, la Compagnie F du 262e régiment est en train de dîner. Près de 300 morts en une seconde. Le sous-marin allemand U-486, invisible sous la surface, vient de frapper. À bord du Léopoldville, c’est le chaos. L’électricité saute. Le navire prend de la gîte. Le capitaine Limbor tarde à réagir. Personne ne comprend les ordres criés en flamand, la barrière de la langue est totale. Le capitaine hésite. Tarde. Deux canots seulement sont mis à l’eau. Réservés à l’équipage. Les autres restent suspendus. Inutilisables. Les soldats attendent sur le pont. Certains sautent à l’eau. Sans gilet. Avec leur barda. Beaucoup ne savent pas nager. Le mazout envahit la surface. Les hommes crient, glissent, s’épuisent.

Le HMS Brilliant qui accompagne le Leopoldville parvient à accoster. Les soldats sautent de dix mètres. Certains se brisent les jambes. D’autres sont broyés en tombant entre les coques. Dans la rade de Cherbourg, personne ne bouge. L’appel de détresse est mal compris : on pense à un simple besoin de remorqueur. Mais à terre, les moteurs sont à l’arrêt et les marins à table. C’est la veille de Noël. Fianlement les remorqueurs français Abeille 21, Cherbourgeois IV, Le Basque arrivent sur place, mais c'est trop tard. À 20h40, le Léopoldville s’enfonce lentement, à quelques encablures de la grande rade. 763 soldats américains meurent. 493 ne seront jamais retrouvés. Le capitaine Limbor coule avec son navire.

U-Boote, la guerre sous marine des allemands - 1

La tragédie d'un naufrage qu'on a voulu effacer

American 290th Infantry Regiment infantrymen fighting in snow during the Battle of the Bulge

Un naufrage éffacé, pour conserver intact le moral des troupes dans les Ardennes 

Le lendemain, l’armée américaine impose le silence. Le naufrage est classé secret défense. Les soldats reçoivent l’ordre de ne rien dire. Leurs lettres sont systématiquement relues, barrées, censurées. À Cherbourg aussi l’histoire disparaît, aucun article racontant le naufrage ne paraîtra dans la presse. La priorité est ailleurs : Bastogne, la reprise de l’offensive, la victoire à venir. L’histoire du Leopoldville doit disparaître.

Supplies at the port of Cherbourg 

Le port de Cherbourg le 13 décembre 1944.

Il faudra attendre les années 1990 pour entendre les survivants. Leurs témoignages brisent enfin le silence. L’épave, localisée à 56 mètres de fond, est classée « bien culturel maritime » en 2001. Des documentaires paraissent. Des noms émergent : George Bigelow, rescapé hospitalisé à Cherbourg. Jack Dixon, marin du Brilliant. Clech, capitaine de l’Abeille 21.

Enfin, le 6 mai 2025, un monument est inauguré à Cherbourg, à deux pas de l’ancienne gare transatlantique. Il honore la mémoire des soldats engloutis à quelques milles de là. L’histoire du Léopoldville méritait bien qu'on s'en souvienne.

 

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GLOSSAIRE

  • Paquebot : navire conçu à l’origine pour le transport de passagers. Le Léopoldville assurait la liaison entre la Belgique et le Congo belge avant sa réquisition.

  • Transport de troupes : navire utilisé par l’armée pour déplacer des soldats vers le front. Le Léopoldville a été reconverti à cette fonction par les Alliés en 1940.

  • Convoi militaire : ensemble de navires naviguant en groupe, souvent escortés, pour des raisons de sécurité en temps de guerre.

  • Destroyer / Frégate : bâtiments de guerre légers et rapides chargés d’escorter les convois et de lutter contre les sous-marins.

  • Torpille : engin explosif automoteur utilisé par les sous-marins pour couler des navires ennemis. Celle qui a touché le Léopoldville a causé près de 300 morts en quelques secondes.

  • Sous-marin U-Boot : nom donné aux sous-marins allemands. Le U-486, responsable du torpillage, était un modèle furtif de type VIIC.

  • Cale : compartiment inférieur d’un navire servant au stockage ou à l’hébergement. La cale n°4 du Léopoldville a été touchée par la torpille.

  • Gîte : inclinaison latérale d’un navire provoquée par un déséquilibre, souvent suite à une avarie ou une voie d’eau.

  • Mazout : fioul lourd utilisé comme carburant. Après l’impact, il s’est répandu à la surface, rendant l’eau irrespirable et glissante.

  • Compagnie F du 262e régiment : unité américaine décimée dans l’explosion de la cale n°4.

  • 66e division d’infanterie américaine (Black Panthers) : division engagée sur le front ouest pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle fut lourdement frappée par le naufrage.

  • Silence militaire / Censure : mesures imposées par l’armée américaine pour interdire toute communication sur le drame, même auprès des familles.

  • Broyés : terme utilisé dans l’article pour évoquer les soldats coincés entre les coques des navires de secours et du Léopoldville.

  • Rade : bassin maritime protégé, naturel ou artificiel, utilisé pour abriter les navires. Le naufrage s’est produit à l’entrée de la grande rade de Cherbourg.

  • Bien culturel maritime : statut juridique de protection accordé à une épave par le ministère de la Culture. Celui du Léopoldville a été classé en 2001.

  • Monument commémoratif : stèle ou lieu dédié à la mémoire des victimes. Celui du Léopoldville a été inauguré à Cherbourg le 6 mai 2025.

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POUR SE REPÉRER

 


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